Dictionnaire international des militants anarchistes
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TENNEVIN, Alexandre, Eugène
Né à Paris le 5 décembre 1848 – mort le 9 juin 1908 - Comptable ; journaliste ; cordonnier – Paris – Limoges (Haute-Vienne)
Article mis en ligne le 1er février 2016
dernière modification le 29 octobre 2023

par Guillaume Davranche, ps
Alexandre Tennevin

Après avoir obtenu son baccalauréat et avoir été exclu du lycée Charlemagne pour "insubordination", Alexandre Tennevin s’engagea dans la marine de l’État ; il fut condamné pour vente d’effets d’équipement et incorporé dans les compagnies disciplinaires coloniales pendant 4 ans. En 1880, il travaillait au journal Le Voltaire, puis il fut rédacteur au Citoyen et à La Bataille. Il était alors veuf, demeurait depuis trois ans au 11 Boulevard Ornano, avec sa mère qui élevait ses deux (?) jeunes enfants. Assidu aux réunions, il comptait parmi les militants du parti socialiste révolutionnaire. D’août 1884 à février 1885, il fut gérant de La Semaine médicale, puis employé comme comptable à l’imprimerie Schiller, rue du Faubourg-Montmartre, à Paris.

En octobre-novembre 1885, il était passé à l’anarchisme puisqu’il collabora à l’éphémère Revue antipatriote révolutionnaire de Deherme. Puis en août ou septembre 1886, il fut un des fondateurs de la Ligue des Antipatriotes. Il allait dès lors participé à de très nombreuses réunions organisés par les groupes dont La Sentinelle de Montmartre, La Vengeance, Les Solidaires, Les Insurgés, Le Combat, Les Egaux, L’aiguille, Terre et liberté, Le Cercle International, Le Léopard du Panthéon, la Panthère des Batignolles, la chambre syndicale des hommes de peine et La Revanche des mineurs entre autres.

Le 10 mai 1886, lors d’une réunion organisée par le groupe La Sentinelle révolutionnaire, il avait appelé “à détruire tous les livres de dettes publiques, les actions, en un mot tout ce qui représente un capital quelconque, pour assurer l’émancipation de l’ouvrier” et avait applaudi à la mort de l’ingénieur Watrin.

Le 26 juin suivant, salle de la Redoute, il avait été l’un des orateurs d’une réunion en faveur d’Amilcare Cipriani dont il avait relaté l’itinéraire et il avait conclu par ces mots : “Devant ces injustices, compagnons nous devons nous souvenir que nous avons des pavés dans les rues et que la dynamite a été inventée pour s’en servir”.

Le 23 octobre, dans la même salle et lors d’une réunion organisée par le groupe Terre et liberté, il avait engagé “les ouvriers à suivre le drapeau qui les conduirait à l’égorgement des bourgeois”.

En 1887 il demeurait 60 rue Lamartine avec sa fille âgée de 15 ans et était à la charge de sa mère qui bien qu’infirme travaillait comme brodeuse et repasseuse de tapisseries. Il aurait été employé à cette époque à la mairie du IXe arrondissement.
Selon la police, il fréquentait "assidûment le jardin de la Bourse où il exposait ses théories anarchistes” et aurait émis l’idée de partir au Panama.

En janvier 1887 il fut - avec notamment Louise Michel, Octave Jahn, Tortelier, Leboucher - l’orateur de réunions de protestation contre la condamnation à mort de Clément Duval. Le 23 janvier, lors du meeting organisé à la salle de la Boule noire par le groupe La Panthère des Batignolles, il avait appelé les 150 assistants "au pillage et à l’incendie" et avait fait l’apologie de Duval.

Il participa également à la campagne contre les bureaux de placement et le 2 avril, lors d’une réunion rue de la Montagne Sainte Geneviève organisée par le Cercle Vallés et La Voix du Peuple, il avait appelé “à foutre le feu aux bureaux de placement et à foutre les placeurs par la fenêtre".

Le 25 avril, lors d’une réunion organisée par le groupe de Levallois-Perret en vue du 1er mai, il avait achevé son discours en s’écriant : “Quoiqu’il puisse arriver, si le 1er mai le sang coule à Paris, si les fusils crachent la mort sur les nôtres, faisons feu partout et vendons cher notre peau… Souvenez vous des martyrs de Chicago, des Gallo, des Cyvoct, des Duval, des Pini… Oui, souvenez vous et le jour de la révolution, mort à tout ce qui est exploiteur et exploitation et à tout ce qui est et détient l’autorité. En attendant, camarades, vive la révolution, vive l’anarchie, à bas l’autorité !”.

Il fut arrêté le 29 mai 1887 pour rébellion à agent, port d’arme prohibée (une canne nerf de bœuf plombée et un revolver chargé à dix coups), cris séditieux — “Vive la Commune !, vive l’Anarchie !" — proférés à l’entrée du cimetière du Père-Lachaise, à l’occasion d’une manifestation ; il fut condamné le 18 juin à 16 f d’amende.

A cette même époque il aurait également participé aux activités du groupe Les Déshérités de Clichy avec notamment Courtois, Ferrières et Gicquel. Selon la police, i ;aurait été avec Tortelier, l’un des fondateurs du groupe anarchiste du quartier de la Goutte d’or qui se réunissait rue Myrha.

En 1887-1888, il collabora à L’Autonomie individuelle de Deherme et à L’Avant-Garde cosmopolite, deux publications qui sont considérées comme les premières manifestations de la tendance individualiste.

Début 1888, à l’occasion des élections municipales à Paris, il fut l’auteur d’un manifeste abstentionniste.

Durant le second semestre 1888, Tennevin participa au Ça ira, le journal lancé par Malato, Émile Pouget et Constant Martin et pour lequel, en décembre 1887, il avait été chargé avec Louiche et Ricard de rédiger une circulaire tirée à 10.000 exemplaires pour recevoir le soutien des groupes de province et de l’étranger… Le journal était fermement antiboulangiste.

Lors de la grève des terrassiers (27 juillet au 5 août 1888), il intervint à plusieurs reprises, notamment à la Bourse du travail, pour appeler les grévistes à ne pas reprendre le travail, à agir pour obliger les patrons à se soumettre aux revendications et à déclencher la grève générale du bâtiment.

Le 9 août 1888, aux cotés notamment de Louise Michel, Gouzien, Espagnac, Malato, Pausader, Lutz, Tortelier et G. Roussel, il avait été l’un des orateurs de la réunion organisée par les groupes anarchistes du XXe arrondissement au profit des victimes de la police lors de la journée du 8 août, enterrement d’E. Eudes où il y avait eu de nombreuses bagarres avec les forces de l’ordre.

En novembre 1888, sur l’initiative des militants du Ça ira, Tennevin participa à la fondation du Cercle anarchiste international, qui tint des assemblées régulières salle Horel, rue Aumaire, à Paris 3e. Pendant quelques années, le Cercle anarchiste international fut le principal lieu de rencontres et d’échanges entre militants, et l’on pouvait y croiser notamment Émile Pouget, Charles Malato, Joseph Tortelier, Gustave Leboucher, Auguste Viard, Louis Charveron, François Duprat, Gustave Mollet, Lucien Weil, Achille Leroy, Paul Reclus, Émile Méreaux, Albin Villeval, Michel Antoine, Georges Brunet, Henri Riemer, Émile Bidault, Jaques Prolo, les Italiens Merlino et Agresti et le Suisse Lutz… À partir de la mi-1890, on y vit également intervenir des militants radicalisés qui commençaient à se qualifier d’« individualistes », comme Perrin, Pierre Martinet et Eugène Renard.

Véritable laboratoire idéologique, on y débattit nombre d’orientations stratégiques — antiboulangisme, antimilitarisme, abstentionnisme, grève-généralisme, 1er Mai, syndicalisme, illégalisme, individualisme. Le Cercle international fut le théâtre de divergences croissantes entre les partisans de l’action ouvrière collective (Tortelier, Pouget, Malato, Merlino…) et les partisans de l’acte de révolte individuelle (Pierre Martinet), prélude à la formation du courant individualiste.

Le 20 avril 1889 il fut l’orateur d’un meeting tenu à Bruxelles, organisé par le groupe L’Egalité éditeur du journal Le Drapeau noir et pour protester contre l’hospitalité accordée au général Boulanger.

Les 1er et 8 septembre 1889, Tennevin fut un des principaux orateurs au congrès anarchiste international qui se tint salle du Commerce, à Paris. Dans la controverse sur le vol, qui fut au centre des débats, il apparut comme un des partisans du vol « dirigé contre les capitalistes », selon le rapport de police.
A l’automne 1889, il aurait été candidat abstentionniste dans le IXe arrondissement de Paris.

En janvier 1890, lors d’une réunion du groupe Les anarchistes de Montmartre, il avait appuyé, au nom de la liberté individuelle, avec le compagnon Brunet, les femmes qui voulaient se réunir entre elles, sansw la présence des hommes, proposition qui avait été combattu par Weil qui avait alors été pris à partie par Jamain.

Tennevin, qui avait perdu sa femme en 1885, prit une part active, aux côtés de Louise Michel et de Pierre Martin, aux manifestations organisées à l’occasion du 1er Mai 1890. Les jours précédents, Tennevin et Louise Michel avaient tenu des réunions à Saint-Étienne (27 avril), Firminy, Saint-Chamond, sur le thème suivant : la manifestation du 1er Mai et la grève générale, les orateurs se proposant de faire de cette journée le symbole de l’action révolutionnaire opposée au légalisme pacifiste qu’ils reprochaient aux guesdistes. Le 29 avril, ils organisèrent avec le concours de Pierre Martin une réunion à Vienne. Tennevin y prononça un discours dont la Gazette des Tribunaux donna la substance :

« … Il faut que le 1er Mai les ouvriers se rendent chez les patrons pour prendre ce qu’ils ont et si ces derniers ne sont pas contents et s’ils résistent, il faut leur casser la gueule. Volez, pillez tout, mettez le feu au besoin, tuez les patrons. C’est votre droit puisque le patron vous exploite. Prendre au patron n’est pas voler, c’est reprendre le bien qui est le vôtre… » Tennevin accepta l’esprit, sinon la lettre, d’un tel discours : « J’ai prononcé un discours violent, je le reconnais, mais je ne puis pas discuter sur les mots. »

Le 30 avril et le 1er mai, nouvelles réunions. À cette date, Tennevin avait quitté Vienne et ce fut Martin (voir Pierre Martin) qui apparut alors comme le principal organisateur. Il y eut bagarre, défilé avec drapeaux rouge et noir, chant de la Carmagnole, pillage des magasins d’un nommé Brocard, ville en état de siège, une soixantaine d’arrestations ; les jours suivants, les grèves continuèrent, le travail ne reprit que le 6 mai.

Tennevin avait été arrêté à Paris le 30 avril. A l’occasion de l’élection législative complémentaire dans le XVIIIe arrondissement (section de Clignancourt) il venait de publier une profession de foi qui se terminait par ces mots : « Citoyens, faites flamber la Chambre et le Sénat, les Ministères et le Palais de justice, la Préfecture et les prisons, la Banque et la Bourse, les mairies et les églises, l’État civil et les titres de propriété ! Electeurs, ne votez ni pur les autres, ni pour moi, conquérez votre liberté par la révolution sociale ! Vive l’anarchie. Alexandre Tennevin, détenu politique, candidat ».

Le 3 mai 1890, il fut extrait de la prison de Mazas, pour assister à la perquisition de son domicile, 37 rue de l’Union à Asnières où il s’était sommairement installé début avril après avoir quitté la rue des Martyrs. Dans cette petite chambre qui lui avait été cédée gracieusement par Auguste Faugoux, la police avait saisi un grand nombre de journaux anarchistes et de documents sur le 1er mai.

Le 8 août, dix hommes et huit femmes comparurent devant la cour d’assises de l’Isère. Parmi les hommes, Tennevin, Pierre Martin (voir ce nom pour la liste complète des inculpés) et Jean-Pierre Buisson. Louise Michel avait fait l’objet d’une ordonnance de non-lieu. Les jurés ne se montrèrent sévères que pour les « meneurs ». Tennevin fut condamné à deux ans de prison et à cinq ans d’interdiction de séjour pour "provocation directe au pillage en bande, au meurtre et à l’incendie". Le jugement ayant été porté devant la cour de cassation, le pourvoi de Tennevin fut rejeté.

Un instantané photographique du 1er Mai 1890, émanant des services de la préfecture de police, présente Tennevin sous l’aspect d’un homme de forte corpulence, portant lorgnon, le visage embroussaillé de barbe ; le journal Le Petit Dauphinois républicain, dans son n° du 9 août 1890, le décrit comme un « homme de taille moyenne, assez gros, vêtu d’une redingote noire ; l’air imposant » qui avait fait son entrée au tribunal « un code à la main » suivant son habitude.

Alexandre Tennevin

Il fut libéré de la prison de Grenoble le 18 septembre 1892. A la mi-novembre alors que venant du Chambon, il attendait à la gare de Saint-Étienne le train pour Roanne, il fut arrêté et condamné à 1 an et un jour de prison pour infraction à une interdiction de séjour dans de nombreuses villes dont Saint-Étienne.

Tennevin fut sensible à l’antisémitisme. Il existe aux Archives départementales de Saint-Étienne (liasse 19 M 5) cinq lettres d’E. Drumont à l’anarchiste Tennevin, de mars 1891 à septembre 1892. Le ton de ces lettres est très amical ; voici un passage de la quatrième, 26 février 1892 : « … comme vous me l’écrivez, Sémitisme et Capitalisme sont à peu près la même chose, le dernier est le fils du premier… »

En décembre 1892 il s’installa à Limoges où il résidait 49 rue d’Angoulême et où il fut d’abord cordonnier puis par la suite employé à la société coopérative « L’Union de Limoges » où le secrétaire de la société, le compagnon Barbet l’avait fait engager comme comptable. Il était alors le principal animateur du groupe anarchiste de cette ville avec entre autres Beaugiron, Beaure, Aubert et Servant. Il possédait un réel talent oratoire, et, partout où il se rendait, se montrait actif propagandiste.

Au printemps 1893 il avait été l’objet d’une perquisition qui n’avait donné aucun résultat, le commissaire notant qu’il brûlait systématiquement sa correspondance après l’avoir lue. Le 1er janvier 1894, comme une vingtaine d’autres militants locaux, il fut l’objet d’une perquisition qui se révéla infructueuse. Selon le journal Le Petit centre (12 décembre 1893) il demeurait alors dans un petit appartement de deux pièces, au troisième étage du 23 rue d’Aigueperse, où “près du lit et à portée de la main, se trouve une petite table surchargée de papiers, de journaux et de brochures”. Il fut arrêté à Limoges le 16 mars 1894 en vertu d’un mandat du juge d’instruction de la Seine et conduit en train à Paris ; au cours de la perquisition la police avait saisi 4 numéros de La Révolte et 13 numéros du Père Peinard, un lot de brochures éditées par Le Père Peinard, La Revue libertaire et le groupe anarchiste d’Agen, un paquet de manuscrits anarchistes ainsi qu’une lettre de Pierre Martin. Poursuivi pour "association de malfaiteurs", il fut incarcéré le 19 mars à Mazas. Lors de son interrogatoire i ne nia pas être anarchiste mais affirma n’avoir organisé ni participé à aucune réunion depuis la promulgation des "lois scélérates". Il reconnut également avait été l’ami de Pauwells lorsque ce dernier habitait Saint-Denis et s’être occupé de lui en 1890 pour faire rapporter l’arrêté d’expulsion dont il avait été l’objet. Par contre il nia avoir des relations personnelles avec Paul Reclus et ne l’avoir croisé qu’à l’occasion de réunions publiques. Remis en liberté provisoire le 14 avril 1894, il bénéficiera d’un non-lieu le 19 juin 1895.

En juin 1895 la police signalait sa démission de son poste de comptable et son départ de Limoges, sans doute à destination de Paris où résidaient sa fille et son gendre et où sa présence fut signalée début août lors d’une réunion de la société La Marmite et où, aux cotés entre autres de Sébastien Faure, Tortelier et Martinet, il avait pris la parole. Il résida ensuite à Suresnes puis à Paris, 26 rue des Vinaigriers (1902).

Pendant l’Affaire Dreyfus, il s’engagea dans le camp dreyfusard et, en février 1899, fut annoncé parmi les rédacteurs du Journal du peuple de Sébastien Faure.

A partir de 1907, Tennevin fut le responsable de l’imprimerie de la CGT à laquelle il servait également de conseiller judiciaire aux appointements de 350 francs mensuels. Au congrès CGT de Toulouse, en 1910, Victor Griffuelhes expliqua à son sujet : « Tennevin était un vieux militant que nous avions pris comme comptable et administrateur de l’imprimerie : il était de son métier comptable, et nous l’avions pris parce qu’un peu âgé et nous supposions que par son âge il pourrait exercer sur le personnel une autorité morale, et qu’ainsi il pourrait donner à la maison une marche régulière. » En réalité, Tennevin fut au bout de quelques mois « noyé sous le travail » et ne parvint pas à tenir correctement les livres de comptes. Quand le trésorier confédéral, Albert Lévy fut libéré de Clairvaux, en avril 1908, Tennevin fut remercié. Par la suite, la mauvaise tenue des livres de compte fut une des causes de l’« affaire de la Maison des fédérations » qui opposa violemment Lévy à Griffuelhes.

Tennevin mourut le 9 juin 1908 d’un cancer de l’estomac — ou de l’anus, selon Griffuelhes. Le Libertaire lui rendit hommage en le présentant comme « un des plus ardents de la période dite […] héroïque ». Auprès de camarades qui l’avaient rencontré peu avant, Tennevin avait dénigré les nouvelles générations : « Que diable veux-tu que je vienne faire maintenant parmi vous ? Les jeunes anarchistes sont tous des savants, des érudits, des littérateurs, des évolutionnistes ! Être révolutionnaire est mauvais genre.… » Il fut incinéré le 9 juin au crematorium du Père-Lachaise.

Son nom est parfois orthographié, par erreur, Thénevin.

Œuvre : Défense de Tennevin par lui-même, Vienne, 12 août 1890.


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