Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

MERCIER-VEGA Louis « Charles RIDEL” ; “DAMASHKI” ; “Santiago PARANE” ; “COURAMI” ; “L’ITINERANT » [CORTVRINT, Charles dit]

Né le 6 mai 1914 à Bruxelles (Belgique) ; se suicide le 20 novembre 1977 — Ouvrier du bâtiment, ; vaiselier ; camelot ; correcteur — UACR — UA — CGT — CGT FO — Paris — Barcelone (Catalogne)- Chili — Grenoble (Isère)
Article mis en ligne le 7 mai 2014
dernière modification le 8 août 2024

par ps

Dès l’âge de seize ans, et notamment après avoir assisté à Bruxelles à un meeting du Comité de défense anarchiste pour la défense de F. Ghezzi emprisonné en URSS, Charles Cortvrint devint anarchiste au contact de militants libertaires espagnols en exil, — tels Francisco Ascaso, Buenaventura Durruti —, d’Ernestan, de Nicolas Lazarévitch et Ida Mett mais aussi d’ouvriers italiens du Bâtiment et de paysans languedociens.

Échappant à ses obligations militaires, il s’installa à Paris et prit contact vers 1931 avec les milieux anarchistes de la capitale où, malgré son jeune âge, il apparut doué d’une maturité d’esprit prometteuse. Délégué au congrès d’Orléans de l’Union anarchiste communiste révolutionnaire (Juillet 1933) la qualité de ses interventions révélera sa solide culture sociale. Après avoir donné des articles au Libertaire en 1933-1934 sous divers pseudonymes (Couramy, Liégeois), il y collabora régulièrement sous le nom de Charles Ridel de juin 1936 à octobre 1937, tandis qu’il écrivait quelques articles pour La Révolution prolétarienne, notamment un compte rendu du congrès de la CNT auquel il avait assisté en mai 1936 à Saragosse. Il fit l’apprentissage de la coutume ouvrière en exerçant successivement les métiers de manœuvre aux halles, d’ouvrier du cuir, de camelot et de correcteur.

Il appartenait à la Fédération communiste libertaire, née d’une scission de l’Union anarchiste au congrès de Paris (20-21 mai 1934). Le nouveau groupe reprochait à l’UA son manque d’homogénéité tactique et organisationnelle ainsi que sa participation début 1934 au Centre de liaison des forces antifascistes de la région parisienne, né à l’initiative de la Fédération socialiste de la Seine. Il intervint au nom de la FCL au congrès de Paris (12-13 avril 1936) qui décida la réintégration dans l’UA tout en se maintenant comme tendance. Après ce retour, il devint membre de la commission administrative de l’Union anarchiste plus spécialement chargé de la propagande.

Avec ses amis de la Jeunesse anarchiste communiste — Guyard, Carpentier, Faucier, Patat, Ringeas —, Mercier-Vega fut un ardent défenseur du communisme libertaire et de l’organisation anarchiste. Pour lui, « L’anarchisme n’est pas un système philosophique. Il se situe dans l’espace et dans le temps. Il est un socialisme, un secteur du mouvement ouvrier » (Le Libertaire, 4 novembre 1937).

Partisan du développement des groupes d’usines de l’UA, il fut particulièrement actif, dans la région parisienne, pendant les grèves avec occupation de juin 1936. C’est à cette époque qu’il rencontra Simone Weil qui visita, en compagnie de l’anarchiste et syndicaliste de la Métallurgie Félix Guyard, les premiers établissements métallurgiques occupés et le reçut au domicile de ses parents en compagnie de Guyard et du livreur de charbon François-Charles Carpentier. Avec ces derniers, L. Feuillade et Robert Léger, il était alors membre du groupe Les Moules à gaufre.

Dès l’annonce de la Révolution espagnole, Mercier-Vega n’attendit que la fin de la quinzaine pour toucher sa paie et partir en Espagne avec Carpentier, de dix ans son aîné, qui avait l’expérience des armes pour avoir servi comme caporal mitrailleur dans un régiment de tirailleurs marocains pendant la guerre du Rif en 1925. En août 1936 à Pina del Ebro, Mercier fut parmi les fondateurs du Groupe international de la colonne Durruti, « Légion internationale des sans-patrie qui sont venus se battre dans la péninsule pour l’ordre ouvrier et révolutionnaire » (cf.Le Libertaire, 21 août 1936) que Simone Weil vint rejoindre comme milicienne. Il participa au combat sur le front d’Aragon tout en envoyant des correspondances régulières au Libertaire et resta en Espagne jusqu’à la militarisation des milices. il était également chargé avec Carpentier et Coudry de la distribution au front de L’Espagne antifasciste publié à Barcelone par André Prudhommeaux.

Ses camarades finirent par le persuader de revenir en France afin d’entreprendre une vaste campagne d’information en faveur de l’Espagne révolutionnaire. Le Libertaire du 9 octobre 1936 annonça une tournée de conférences avec projection de films sur les événements d’Espagne animée par lui et Carpentier, dont le bénéfice devait aller au centre de ravitaillement des milices antifascistes d’Espagne. Jusqu’en février 1937, il sillonna la France pour y tenir meetings et conférences, récolter des fonds et faire œuvre de propagande. C’est au cours de cette tournée qu’il rencontra sa future femme, Sarah. Ils furent ensuite séparés pendant la durée de la guerre et se retrouvèrent à son retour en France en 1945 pour se marier deux ans plus tard.

Des divergences profondes tant sur le plan organisationnel (rôle des groupes d’usines) que sur l’appréciation des événements espagnols l’amenèrent à quitter l’Union anarchiste avec plusieurs camarades après le congrès de Paris (30-31 octobre-1er novembre 1937). Il stigmatisa à la tribune le divorce entre la base et la direction de la CNT-FAI en mai 1937 et l’intervention des ministres anarchistes empêchant les milices de descendre sur Barcelone pendant les combats entre libertaires et staliniens.

Mercier-Vega fit partie du Cercle syndicaliste « Lutte de classes » dont l’organe, Le Réveil syndicaliste, parut en janvier 1938 (voir Eugène Galopin). Au sein de la CGT réunifiée, les militants révolutionnaires qui l’animaient luttaient pour la défense des conquêtes sociales de juin 1936, le rejet de l’arbitrage obligatoire, la revendication du contrôle ouvrier, la nationalisation sans indemnisation des industries clés et la lutte contre l’Union sacrée. Sous le pseudonyme d’Hersay, il donna plusieurs articles au Réveil. Dans les débats du cercle, il se retrouva, avec Nicolas Lazarévitch, pour partager l’essentiel des points de vue de Jean Bernier sur l’Espagne et les questions internationales.

Avec Marie-Louise Berneri, Lucien Feuillade, Lazarévitch, Julien Coffinet et Jean Rabaut, il fut à l’initiative d’une nouvelle revue, Révision, revue d’études révolutionnaires dont le manifeste proposait de faire surgir « un courant révolutionnaire libéré des boulets de la tradition et de l’uniforme des conformismes » (n° 1, février 1938). Dans cet esprit, il dénonça les « anarchistes de gouvernement », leur compromission avec la « démocratie bourgeoise », et leurs reniements.

Au moment de la crise de Munich, il passa en Suisse avec Jean Bernier car, comme le proclamait un éditorial de Révision, « La seule trahison serait de marcher » (n° 3, avril 1938). En septembre 1939, il se rendit à Marseille mais constata que la ville n’était pas le meilleur endroit pour quitter la France. Il repartit vers l’Europe du Nord en octobre, réussit à s’embarquer en novembre sur un cargo grec à destination de l’Argentine sous le nom de Carlo Manni. La Chevauchée anonyme retrace cette période de 1939 à 1941 ; Mercier y raconte cet épisode crucial de sa vie à travers les personnages de Parrain et Danton.

Après un bref séjour à Buenos Aires, il se rendit à Santiago du Chili puis en Afrique à Brazzaville où il s’engagea le 26 juin 1942 comme volontaire pour la durée de la guerre dans les Forces françaises libres. En décembre 1942, il se trouvait à Beyrouth où il fut détaché au service information de la France libre à Radio Levant d’avril à octobre 1945. Démobilisé à Paris le 6 décembre, il devint alors rédacteur au Dauphiné libéré (Grenoble).

Au débuts des années cinquante, Mercier-Vega devint membre des Amis de la liberté, branche française militante du Congrès pour la liberté de la culture, organisation internationale d’intellectuels anti-totalitaires créée à Berlin en juin 1950. Il collabora aux publications du Congrès, en particulier à la revue Preuves, à partir de son retour d’un voyage d’études en Amérique latine avec l’ex-leader du POUM, le socialiste espagnol Julian Gorkin. Dans Preuves, il traitait généralement des problèmes de l’Amérique latine et des questions ouvrières et syndicales. Sa connaissance approfondie du continent sud-américain et les nombreux contacts qu’il y avait noués, lui permirent d’accéder à la direction du département Amérique latine du Congrès dans le cadre de l’Institut latino-américain de relations internationales. Il y dirigea la revue trilingue (Espagnol, Français, Portugais) Aportes de 1966 à 1972 (26 n°).

Certains anarchistes lui reprochèrent vivement sa participation aux activités du Congrès pour la liberté et la culture. Dans un de ses derniers textes, il répondait d’une manière générale à ce type de critique : « Quant à la sempiternelle considération que tout acte, tout sentiment exprimé, toute attitude fait le jeu de l’un ou l’autre antagoniste, elle est sans nul doute exacte. Le tout est de savoir s’il faut disparaître, se taire, devenir objet, pour la seule raison que notre existence peut favoriser le triomphe de l’un ou l’autre. Alors qu’une seule vérité est éclatante : nul ne fera notre jeu, si nous ne le menons pas nous-mêmes » (cf. Interrogations n°11, juillet 1977).

Mercier-Vega participa activement à la création de la CGT-Force ouvrière dans la région de Grenoble. Il collabora sous divers pseudonymes (L’itinérant, Damashki) à La Révolution prolétarienne à partir de 1949 et milita à l’Union des syndicalistes. Il collabora notamment au bulletin Le trait d’union syndicaliste (1952-1953) puis Le trait d’union des syndicalistes (Paris, 1954) dont le gérant était Julien Toublet et en 1953-55 à L’Alliance ouvrière (Grenoble). Il donna de nombreuses conférences dans des cercles ouvriers comme, par exemple, sur le problème de la participation ouvrière à la gestion des entreprises au cercle Zimmerwald (La Révolution prolétarienne, n° 133, décembre 1958) ou sur la presse et les syndicats au groupement intersyndical d’études et de culture ouvrière de Saint-Étienne (La Révolution prolétarienne, n° 149, mai 1960). Après la Seconde Guerre mondiale, il constata « La presque totale inexistence du prolétariat… dans la candidature à la succession du capitalisme » mais, au lieu de renoncer, souhaitait la naissance d’une « internationale de fait entre tous ceux qui ne désespèrent pas » (La Révolution prolétarienne n° 32, novembre 1949).

Conscient, par la fréquence de ses contacts internationaux de « L’urgente nécessité d’établir un réseau de relations permanentes entre les éléments libertaires et syndicalistes révolutionnaires de différents pays » (Nicolas Faucier), il créa avec notamment Helmut Rüdiger et Albert De Jong, en 1958 la Commission internationale de liaison ouvrière (CILO) qui édita un bulletin d’informations en plusieurs langues. Cet « organisme de relations et de travail en commun entre courants libertaires actifs dans les mouvements ouvriers » s’efforça jusqu’en 1965 de publier des travaux « sur les problèmes des sociétés modernes et de diffuser une information responsable entre militants », selon les propres termes de Mercier-Vega. Des organisations suédoise, hollandaise, française, espagnole, argentine et chilienne prirent part à cette expérience.

En 1970, il publia L’increvable anarchisme dans lequel il s’interrogeait sur l’actualité de l’anarchisme et les formes de résurgence de l’utopie libertaire dans les sociétés contemporaines de l’insurrection hongroise de 1956 au mouvement de mai 1968.

La mort prématurée en 1973 de la compagne qui partageait sa vie et son action depuis 1953, Éliane Casserini, fut pour lui une épreuve qu’il surmonta en créant une nouvelle revue : Interrogations, revue internationale de recherches anarchistes, dont le premier numéro parut en décembre 1974 avec cette déclaration préliminaire : « L’anarchisme ne peut plus se contenter de répéter ce qui fut vrai hier. Il doit inventer ce qui correspond à sa mission d’aujourd’hui. »

Après deux ans d’intense activité, il mit fin à ses jours le 20 novembre 1977 à Collioure (Pyrénées-Orientales). Il donna son corps à la faculté de médecine de Montpellier et son importante bibliothèque au Centre international de recherche sur l’Anarchisme de Genève. Ses derniers fonds furent distribués à des éditions militantes.

Militant animé de la double passion de comprendre et d’agir, Louis Mercier-Vega avait toujours eu conscience « du caractère inévitable de la solitude » qui n’interdit « ni les œuvres collectives, ni l’existence de communautés fraternelles », répudiant toutes les fois pour vivre « parmi les points d’interrogations ». Sa pensée, comme celle d’André Prudhommeaux, reste une des plus stimulantes par sa volonté affirmée de rechercher en priorité, selon M. Abensour, « une ouverture à la réalité du neuf, une sensibilité au nouveau qui advient dans l’histoire »

ŒUVRE : — Pourquoi et comment se bat la Hongrie ouvrière, Union des syndicalistes, s.d. [1956]. — Présence du syndicalisme libertaire, Édition de l’Union des syndicalistes et de la Commission internationale de liaison ouvrière, s.d. [1962]. — Mécanismes du pouvoir en Amérique latine, Belfond, 1967. — Technique du contre-État, Belfond, 1968. — L’increvable anarchisme, UGE, 1970 (Réédition Analis, 1988). — Autopsie de Péron, Duculot, 1974. — « Simone Weil sur le front d’Aragon », in Les écrivains et la guerre d’Espagne, Cahiers de l’Herne, 1975. — La révolution par l’État, une nouvelle classe dirigeante en Amérique latine ; préf. de M. Abensour, Payot, 1978. — Anarcho-syndicalisme et syndicalisme révolutionnaire, Spartacus, 1978. — La Chevauchée anonyme ; préf. de M. Enckell, Genève, Édition Noir, 1978 (Iconographie). — « Confluences et particularités latino-américaines », in Les nouveaux patrons, onze études sur la technobureaucratie, Genève, Éditions Noir, 1979.


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