André Andreiev, militant individualiste, avait été condamné aux travaux forcés pour sa participation à la révolution de 1905 et n’avait été libéré qu’en 1917. Membre de l’Association Anarchiste de Kiev, il a été arrêté à plusieurs reprises par les bolchéviques. Arrêté à Moscou en mai 1929 avec le compagnon italien F. Ghezzi, il déclenchait une grève de la faim (jusqu’au 8 juin 1929), avant d’être déporté par les autorités.
En février 1933, dans une lettre de protestation adressée à la présidence du Guépéou de Moscou, avec sa compagne Zora Gandlevska il écrivait : « Dix années se sont écoulées depuis l’écrasement définitif des groupements libertaires en URSS. Les imprimeries nous sont interdites ; notre idée est complètement étouffée, elle ne peut être répandue par la voie de la presse ; les anciennes publications anarchistes sont confisquées… Sans jugement, nos camarades sont enfermés par dizaines dans des isolateurs politiques ; par centaines, ils s’en vont en exil. Assez souvent ils sont exécutés… Des femmes, des vieillards, des adolescents sont, à tout instant, enlevés d’un endroit fixé par les autorités politiques, pour être envoyés par les mêmes autorités, vers d’autres lieux d’où ils seront de nouveau délogés et envoyés ailleurs. Des milliers d’hommes sont obligés ainsi de trotter inféfiniment à travers l’immense pays, jusqu’à ce qu’ils trouvent leur tombe dans quelque recoin malsain.
Inutile de parler longuement des faits connus par tous, tels que le massacre à la prison Boutyrki resté impuni, la fusillade aux Solovki, le massacre de Verrkné Ouralsk… Les grèves de la faim dans les prisons deviennent des faits divers, comme au temps du tsarisme. Et combien de faits de ce genre restent dans l’ombre ? Les verdicts du Guépéou ne sont que des mensonges de jésuites. Les délais de l’exil sont constamment prolongés d’une façon ou d’une autre… La soi disant isolation politique signifie au moins neuf années de souffrances atroces dans des prisons du Guépéou et autres neuf années de privations et de tortures physiques et morales, représentant une sorte d’assassinat lent et méthodique ne maissant pas de traces sur le corps. Tout au long de cette suppression les anarchistes sont traités en criminels, en prostituées, en saboteurs… Ceux qui sont relâchés avec un droit de séjour limité doivent présenter partout leurs papiers de “hors-la-loi”. De cette façon ils sont exposés à être traqués par n’importe qui, à être lynchés d’une manière lente mais sûre. Les exilés et les limités dans leur droit de séjour sont arbitrairement privés de tout droit au travail. Ce n’est que par pitié qu’on leur accorde, par-ci, par-là, quelque travail. Tous les deux chômeurs, nous en fournissons la preuve formelle. Les listes noires, listes de proscrits condamnés à la guillotine sèche, sont l’expression de tout un système.
Epuisé par les prisons, les maladies impossibles à soigner dans les conditions d’exil, les privations physiques et les tortures morales, l’anarchiste Nicolai Rogdaev, militant des révolutions russes et du mouvement révolutionnaire européen, tomba mort et fut ramassé… dans la rue Sacco-Vanzetti. Sa mort prématurée est la suite fatale de sa “condamnation” en 1929n la même qui nous frappa nous aussi, et qui nous expose, tous les deux, au même sort. D’ailleurs plusieurs parmi nous, surtout parmi les “vieux”, sont voués au même sort. Mais nous ne pouvons attendre en silence le jour où le couperet tombera.
Nous ne nous soumettons pas aux restrictions de séjour qu’on nous impose après des années d’un exil arbitraire. Et, aussitôt arrêtés, nous protesterons par une grève de la faim de cinq jours, aussi bien contre l’assassinat de N. Rogdaev, que contre toutes les persécutions des anarchistes. Nous continuerons ensuite cette grève jusqu’à notre mise en liberté. Et, le cas échéant, nous n’hésiterons guère devant une grève à outrance. On pourra nous écraser à l’aide des armes, mais le jour viendra où l’idée de l’anarchisme renversera toutes les autorités avec toutes leurs armes. Jusqu’à quand donc continuera-t-on à traquer les anarchistes ? Nous protestons !”
En juin 1933 tous deux étaient ensuite arrêtés, commençaient une grève de la faim et étaient déportés à Astrakan où ils entamaient aussitôt une grève de la faim ; au bout de 18 jours de grève, ils étaient réalimentés de force par les autorités du camp. En 1934, André Andreiev était à nouveau condamné à cinq ans au camp de Marimsk, province de Tomsk, pour avoir adhéré à la Croix Noire anarchiste, organisation d’aide aux compagnons emprisonnés.