Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

BOUCHER, Émile, “DOUDELEZ” ou “DIDELET”

Né le 27 juillet 1866 à Lille (Nord) — Employé de commerce ; teinturier — CGT –Amiens (Somme) — Roubaix, Croix & Wasquehal (Nord)
Article mis en ligne le 16 février 2024
dernière modification le 21 août 2024

par R.D.

Fils naturel d’une actrice et d’un grand teinturier d’Amiens, Émile Boucher — parfois orthographié Bouchez — fut élevé par des ouvriers, financièrement aidés par un industriel, le père de l’enfant vraisemblablement. À l’âge de sept ans, il fut mis dans un collège près de la frontière belge, puis, de onze à seize ans, fit ses études secondaires au lycée d’Amiens. En 1881, il quitta le lycée et partit en qualité d’« élève de la Marine » à bord des long-courriers du Havre. Il voyagea dans le monde entier, puis effectua son service militaire dans la marine de Guerre. Il revint en 1887 gabier, breveté de première classe, et s’installa à Amiens comme employé de commerce. L’inactivité lui pesant, il partit en 1889 pour Roubaix et entra en rapports avec les socialistes Delory, J. Guesde, Lafargue et, en 1890, fut délégué au congrès national de Lille.

En 1891, il revint à Amiens, réorganisa sur de nouvelles bases le syndicat des teinturiers et fonda trois groupes d’études sociales. En collaboration avec Charles Vérecque, il fit paraître Le Travailleur picard, organe des syndicats et des groupes du Parti ouvrier de la Somme ; il en devint le secrétaire de rédaction.

En avril 1893 éclatait la grande grève du textile. Elle débuta chez les tisserands et gagna les teinturiers. Boucher appartenait au syndicat des teinturiers et, quoique employé et rétribué beaucoup plus que les ouvriers, fut le premier à se mettre en grève. Il s’occupa spécialement des plus défavorisés (ouvriers des filatures et du peignage) qui obtinrent satisfaction au bout de trois jours ; les teinturiers et les apprêteurs eurent, à leur tour, gain de cause : augmentation de 7 à 8 F par semaine. Les patrons ayant voulu revenir sur leurs engagements, une nouvelle grève éclata, suivie d’une nouvelle victoire et d’une nouvelle augmentation de 2 F par semaine. À ce moment fut créée la Chambre syndicale ouvrière du textile dont Boucher fut le secrétaire, mais sa participation, essentielle, au mouvement, le priva définitivement de travail. En juillet 1893, nouvelle grève dans le textile, aux usines Saint-à Harondel et Saint-Ouen. Boucher se rendit sur place, organisa le comité de grève, soutint les énergies. Il fut alors poursuivi en cour d’assises pour « atteinte à l’honneur des prud’hommes » qu’il avait accusés de partialité lors de la grève ; il fut condamné à 50 F d’amende.

Boucher, qui était aussi militant socialiste, appartenait à la section du Parti ouvrier amiénois dont il était le secrétaire. Le 1er mai 1893, il était à la tête du défilé et prit la parole. En juillet, il fut délégué par la section du parti au congrès régional d’Armentières et son emploi du temps en ces jours montre son intense activité : arrivé à Lille à six heures du soir, il donnait à huit heures une conférence à Wattrelos en faveur de la candidature de Culine aux élections législatives. Le dimanche se tenait le congrès à Armentières. Le lendemain matin, il donnait une conférence pour les grévistes de chez Dulac ; l’après-midi, il était à Flers et reformait sur des bases solides le groupe d’études sociales dont il avait été le secrétaire cinq ans auparavant.
Pressé par la section amiénoise du Parti d’être son porte-parole lors des élections législatives de 1893, il refusa, mais la section, à bulletins secrets, exigea sa candidature qui fut ratifiée par 114 délégués représentant 75 Chambres syndicales et groupes ouvriers au congrès régional du parti d’Amiens puis par le Conseil national. Boucher céda et fut donc candidat le 20 août 1893 dans la première circonscription d’Amiens. Il n’obtint que 3 279 voix contre 12 722, deux mille voix allant aux candidats socialistes indépendants.

Gérant du Travailleur picard en septembre 1893, Boucher y publia de nombreux articles. Il collabora aussi au Réveil de la Somme, au Cri du Travailleur, à Roubaix socialiste.

En janvier 1894, Boucher quitta Amiens et abandonna le POF. Il fréquenta d’abord les anarchistes à Croix et Wattrelos (Nord), puis combattit aux élections de 1896 la municipalité ouvrière de Roubaix. Établi à Reims (Marne) quelques semaines plus tard, il serait devenu un agent du parti catholique ; il collabora à La Libre Parole. En 1902 il avait été radié du contrôle des anarchistes.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, E. Boucher était secrétaire de la section locale CGT de Croix-Wasquehal et comptait, avec Hoche Meurant et Meerschaert parmi les principaux leaders anarchistes du Nord. Il collaborait au Libertaire où il mettait en garde « nos frères de misère contre tous les m’as-tu-vu du socialisme et du syndicalisme patriotard domestiqués » (cf. Le Libertaire, 9 février 1919).

En décembre 1919 il avait été le délégué de Roubaix au Congrès national des soviets français à Paris et en 1920, il fonda le « comité des Soviets de Croix » dont il fut le secrétaire et fit partie du comité d’adhésion à la IIIe Internationale pour le Nord dès sa création — voir Descamps Oscar. Le « comité des Soviets de Croix » s’était doté d’une bannière très symbolique : une face rouge, l’autre noire, frappées d’une étoile jaune. En 1920 il demeurait à Flers-Breucq [actuellement dans la commune de Villeneuve-d’Ascq], 183 rue d’Hem où il avait installé une petite imprimerie. Il siégeait à la commission exécutive de la Région communiste du Nord en 1925.

S’agit il du Emile Boucher dont Le Libertaire (5 octobre 1928) annonçait le décès de ce « Vieux militant » qui avait été « à nos cotés en de nombreuses occasions » ?


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