Né dans une famille paysanne et élevé religieusement, ce qui le rendit à tout jamais anticlérical, José Maria Estivalis Cabo (parfois orthographié Calvo) commença, dès l’âge de 13 ans, à travailler comme apprenti typographe. Sa participation à une grève lui valut d’être emprisonné en 1907.
Après vraisemblablement un voyage aux Antilles il gagna Paris en 1908 avec son frère aîné Vicente, puis Genève où il était membre en 1909 du groupe anarchiste Germinal — qui se réunissait au café Girod et dont faisaient entre autres partie Octave Guidu, Henri-LouisTruan, Arnaldo Seccatore, Laurent Creux, Louis Taralle et Humbert — et était en relations avec le médecin anarchiste espagnol Pedro Vallina, alors réfugié à Londres. Après les évènements de la semaine tragique à Barcelone, l’exécution de Francisco Ferrer et l’interdiction de la presse anarchiste, il gagnait Nice où il demeura chez le compagnon Ballesta Camos, Boulevard de l’Impératrice de Russie et où il fut le responsable de quelques numéros de Tierra y Libertad (au moins 4 numéros, 8, 16, 22 octobre 1909 puis 21 février 1910) publiés avec le compagnon ouvrier bouchonnier Joseph Pujol, puis introduits clandestinement en Espagne. Selon la police c’est lui qui composait entièrement le journal dont il était l’un des principaux rédacteurs. Après l’arrestation de Liberto Vivès, l’un des rédacteurs, J. Estivalis regagna Genève. Il collabora par la suite à l’hebdomadaire anarchiste cubain Tierra (La Havane, 1910-1914), au Réveil (Genève) et au Libertaire (Paris) souvent sous le pseudonyme de Silavitse.
Au printemps 1911 il allait en Égypte où il participait aux activités de la communauté anarchiste italienne du Caire qui en 1909 avait publié l’organe trilingue L’Idea (2 numéros en mars et mai) auquel Estivalis semblerait avoir collaboré. Puis il parcourait les Balkans, (Istambul, Roumanie, Salonique…), toujours en contact avec les anarchistes locaux et étroitement surveillé par la police, voyages dont il fit le récit dans les journaux libertaires auxquels il collaborait.
De retour en France et après un séjour à Deauville et Toulouse il s’installait en 1913 à Paris où, tout en travaillant comme typographe dans une imprimerie de la rue du Croissant, il allait participer aux activités des groupes espagnols et, sous le nom d’Armand Guerra, à la fondation avec notamment Sébastien Faure, Pierre Martin, André Girard, Gustave Cauvin et Yves-Marie Bidamant, le 8 octobre 1913 de la coopérative Le Cinéma du peuple dont en 1913-1914 il dirigea plusieurs des films : Les misères de l’aiguille (décembre 1913), Le vieux docker (février 1914) et surtout la première partie de La Commune, tournée au Pré-Saint-Gervais sous la direction historique de Lucien Descaves (voir ce nom) qui fut présentée pour la première fois, avec Le Vieux docker, le 28 mars 1914 au Palais des fêtes de la rue Saint-Martin, devant un public estimé à plus de 2.000 personnes. Dans ce dernier film, dont la copie fut détruite pendant l’occupation par les nazis et dont quelques images seront retrouvées et présentées en 1998 par la Cinémathèque française, apparaissaient quelques survivants de l’insurrection parisienne. Il entretint à la même époque une correspondance avec l’écrivain prolétarien Marcel Martinet qui était membre de la Coopérative du Cinéma du peuple.
A l’occasion du 1er mai 1914, un meeting anarchiste international fut organisé 49 rue de Bretagne à Paris auquel devaient prendre la parole Pierre Martin et André Girard (Français), Georges Thonar (Belges), Christian Cornelissen (Hollandais) José Silavitse [Estivalis] (Espagnol) ainsi que des orateurs représentant les Russes, les Tchèques, les Bulgares et les Polonais. Expulsé de France le 30 septembre 1915, José Maria Estivalis, qui dès septembre 1914, avait publié dans Tierra de La Havane un article condamnant la guerre, vécut alors à Lausanne où il travailla comme typographe et où son frère Vicente était établi comme commissionnaire en primeurs.
En 1917 il retournait en Espagne où à Madrid il reprenait ses activités cinématographiques et fondait la compagnie Cervantes Films qui réalisa une demi-douzaine de films avant de devoir mettre la clé sous la porte. Puis il entreprenait entre 1917 et 1920 de nombreux voyages en Europe avant de passer un an à Lausanne puis de se fixer à Berlin où il allait travailler, comme acteur, machiniste, réalisateur, traducteur etc. pendant une douzaine d’années pour les studios de l’UFA à Babelberg, tout en effectuant de nombreux séjours en Espagne. Il devint également le correspondant en Allemagne de la revue de cinéma Popular film (Barcelone, 1926-1937) fondée par le libertaire Mateo Santos Cantero, avec lequel il participa à la fondation de la coopérative cinématographique ACE.
Devant la montée du nazisme en Allemagne et après la proclamation de la République il rentrait en Espagne en 1932 où avec son frère Vicente, il tentait de créer près de Valence les studios Hispano-Cinezon, tentative qui échoua.
Au moment du coup d’État franquiste de juillet 1936, il était en train de terminer un long métrage, Carne de fieras (retrouvé et représenté par la Cinémathèque de Saragosse en 1992) qu’il n’acheva pas de monter pour mettre sa plume et sa caméra au service de la révolution. Réalisateur du documentaire de guerre Estampas guerreras (copie non retrouvée) tourné avec les miliciens de la Colonne España Libre, il fut également l’auteur du livre A traves de la metralla (Valence, 1938), où il racontait ses aventures de réalisateur sur le front. Plusieurs de ses nouvelles seront publiées en français, notamment dans l’organe de la CGTSR Le Combat syndicaliste.
Au printemps 1937 il participa avec le compagnon Manuel Pérez à une tournée de deux mois de conférences organisées dans tout le sud de la France (Narbonne, Perpignan, Montpellier, Marseille, Nîmes, Beaucaire, Toulouse, Lyon, etc) par le mouvement libertaire pour soutenir la révolution espagnole et dont les comptes rendus seront publiés dans Le Combat syndicaliste.
Membre du Comité régional du Levant de la CNT, il traduisit à cette époque de nombreux textes pour la CNT — il parlait sept langues — et collabora à plusieurs organes libertaires dont L’Indomptable, Nosotros, Umbral, Fragua social. La Nueva España antifascista ainsi qu’à des conférences radiophoniques en faveur de la CNT-FAI. Après avoir mis à l’abri sa famille à Paris en septembre 1937, il retournait en Espagne où il fut, semble-t-il, membre des services de renseignement de la CNT. Arrêté par les staliniens, il fut emprisonné d’avril à août 1938 sur le bateau Uruguay dans le port de Barcelone où il fut ensuite mis en résidence surveillée à l’Hôtel Bristol par le SIM qui lui refusait la délivrance d’un passeport.
En novembre1938, dans un article intitulé « Los barbaros del norte ; la tragedia de los judios », paru dans la revue libertaire de Barcelone Umbral, il fut l’un des premiers à dénoncer les persécutions antisémites menées par les nazis en Allemagne.
En janvier 1939 il parvenait à s’embarquer pour Sète et échappait à l’internement dans un camp. Résidant alors 46 avenue Herbillon à Saint-Mandé, il collabora au journal SIA et au Libertaire (sous le pseudonyme Cantaclaro) où il écrivit son dernier article intitulé Causes du désastre (n°644, 9 mars 1939) avant de décéder brusquement le 10 mars 1939 dans le métro parisien d’une rupture d’anévrisme. Peu avant sa mort il avait essayé en vain de retrouver la trace de son ami le journaliste libertaire Carlos Gamon dans un des camps d’internement en France (annonce parue dans SIA, n°17).
Armand Guerra était le père d’une fille Vicenta (née en 1934), qu’il avait eu avec sa compagne Isabel Anglada Sovelino, et qui sera à l’origine, près de trente ans plus tard, de la redécouverte de cet important cinéaste espagnol.
Œuvre (en français) — A travers la mitraille (Ed Federop, 1997).