Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

HENRY, Fortuné [HENRY Jean, Charles, Fortuné]

Né le 21 août 1869 à Limeil-Brévannes (Seine-et-Oise) — Représentant de commerce ; comptable ; imprimeur — CGT — Paris — Aiglemont (Ardennes)
Article mis en ligne le 16 février 2013
dernière modification le 1er septembre 2024

par ps
Fortuné Henry (bois gravé de F. Valloton)

Jean Charles Fortuné Henry dit Fortuné était le fils aîné de Fortuné Henry condamné à la peine de mort par contumace pour sa participation à la Commune, et le frère de Émile Henry guillotiné en 1894 avec lequel il avait été élevé en Espagne lorsque leur père s’y était réfugié.

Fortuné Henry avait été réformé pour « infirmité » et n’eut donc pas à accomplir son service militaire. Après avoir quitté le lycée Turgot en 1885, il occupa un emploi à la Pharmacie centrale de Paris (7 rue de Jouy) jusqu’en décembre 1889 où, suite à une dispute il quitta alors cet emploi. Il devint alors rédacteur au journal Le Parti ouvrier, mais rompit très vite avec les socialistes et, dès 1891, milita pour l’anarchisme, parcourant la France, multipliant les réunions au cours desquelles il se montrait particulièrement violent. Il demeurait alors 7 Quai Valmy, était membre de la rédaction du Père Peinard et fit alors de nombreuses conférences notamment à la Ligue des antipatriotes dont il était membre, et fut condamné à plusieurs reprises pour “provocation au meurtre, au pillage et à l’incendie”, pour antimilitarisme et “offenses envers le Président de la République”. C’est ainsi qu’il fut condamné, le 8 décembre 1891 à Bourges à 4 mois de prison pour “outrages à commissaire”, le 18 janvier 1893 à 10 mois de prison par la cour d’assises du Cher pour “provocation au meurtre du Président de la république et injures à l’armée”, le 10 février 1893 dans l’Aisne à 18 mois de prison et 100 francs d’amende pour “incitation au crime de meurtre et d’incendie”, le 24 février 1893, par la cour d’assises des Ardennes, à deux ans de prison et 200 f d’amende pour “provocation au meurtre non suivi d’effet”. C’est au cours de cette incarcération à Clairvaux où il demanda le statut de détenu politique qui lui fut accordé, que son jeune frère Émile fut guillotiné.

Auparavant il avait été condamné à des peines équivalentes par les cours d’assises de l’Aisne (à Laon le 19 novembre 1892) et du Cher (par défaut 1 an de prison et 3000 francs d’amende à Bourges en novembre 1892) et avait été écroué début novembre 1892.

Il y a vraisemblablement identité avec le Henry qui à la fin des années 1880 était membre de la section d’études du groupe anarchiste communiste Les Niveleurs de Troyes.

Au printemps et à l’été 1892, aux cotés notamment de Michel Zevaco, Louiche, Jacques Prolo, il fut l’un des orateurs des réunions tenues en soutien et pour protester contre la condamnation à mort de Ravachol. Il avait alors publié la brochure Ravachol anarchiste ? Parfaitement tirée à 5000 exemplaires.

Dans l’une de ces conférences tenues à Bourges en juin 1892, la police, qui le qualifiait de “commis voyageur de l’anarchie”, notait qu’il prenait parfois des précautions oratoires et avait ainsi déclaré : “…Je ne vous dis pas de faire comme Ravachol. S’il y avait parmi vous un compagnon qui ait assez de poils sous le ventre pour foutre 20 centimètres d’une lame dans le ventre d’un commissaire central, ce serait de la propagande par le fait. Seulement je ne vous dis pas de le faire, parce que je commettrais un délit, je fais une simple hypothèse. » Toutefois il continuait en nommant le Président de la république « Le jean-foutre Carnot » et en traitant l’armée « d’école du crime » et les officiers de « souteneurs ». Selon les rapports de divers préfets, il se vantait alors « de se jouer de l’autorité » et ne perdait pas une occasion de dire qu’il « usera et abusera de tous les moyens de procédure que lui laisse la loi de 1881, pour prolonger les poursuites afin de rester libre et de se livrer toujours aux mêmes excitations et aux mêmes violences ». Les diverses peines furent confondues et il fut déclaré libérable le 8 novembre 1894.

Lors d’une de ses incarcérations, Jean Grave, qui l’avait croisé à Clairvaux, rapportait que Fortuné Henry « pour passer le temps…barbouilla un tableau ou deux, se taillant des toiles dans les torchons de l’administration”.

En 1894 il figurait sur une liste d’anarchistes établie par la police des chemins de fer en vue de « surveillance aux frontières ».

Début 1896 il aurait quitté la rédaction du journal La Renaissance de Martinet qui lui avait refusé un article.

Le 16 mars 1896, aux cotés de Tortelier, S. Faure et Noël Berthier, il avait été l’un des orateurs du meeting organisé par Denechère à la salle Genti, pour protester contre l’arrestation et l’expulsion de Kropotkine et auquel avaient assisté environ 1500 personnes. Il y avait préconisé la propagande par le fait « La seule capable de faire activer l’évolution ».

Membre de la Ligue antimilitariste que fondèrent en décembre 1902 H. Beylie, Paraf-Javal, Libertad, Janvion et Yvetot, Fortuné Henry fit partie de la délégation qui représenta les antimilitaristes français au congrès antimilitariste d’Amsterdam convoqué sur l’initiative de l’anarchiste hollandais Domela Nieuwenhuis. À l’issue du congrès, une Association Internationale Antimilitariste (AIA) fut créée et la Ligue française devint section de cet organisme.

En 1903, voyageant pour le compte de la Pharmacie centrale de Paris dont il était devenu un représentant, Fortuné découvrit un vallon solitaire de la forêt des Ardennes, situé près d’Aiglemont. L’idée lui vint d’y fonder une colonie anarchiste qu’il appela L’Essai.dont il exposa les buts dans les coones du Libertaire dès le 29 août 1903. La colonie était située dans « un vaste pré, entouré de bois, couvert de sources » qu’il avait acheté pour la somme de 800 francs et où était rejoint par le compagnon Giralbert.

Colonie l’Essai (Aiglemont)

De juin 1903 aux premiers mois de 1909 se poursuivit cette tentative à laquelle onze colons participaient en octobre 1904. Non seulement les journaux anarchistes en parlèrent — consulter notamment Le Libertaire où par exemple Fortuné écrivait au début de l’été 1904 : « Avec beaucoup de travail, de la persévérance e de la méthode nous sommes arrivés dans un désert marécageux à édifier une petite ferme, un atelier, et à mettre en valeur de culture un hectare et demi de terre. Nous sommes trois colons, une compagne et une enfant » (24 juillet 1904) — mais aussi des journaux bourgeois, Le Temps du 11 juin 1905 par exemple, dans lequel nous trouvons le portrait suivant de Fortuné à cette époque : « Court de taille, ramassé sur sa base, robuste et vif […] le regard […] encore froid et perçant, le geste nerveux, la parole claire et tranchante. Seulement, au contact de la terre, l’homme s’est comme apaisé ; le visage hâlé reflète plus de sérénité et moins de fièvre. » A la Colonie il y avait, outre le bâtiment initial “trois vastes pièces avec le confortable campagnard », une écurie, une étable, des clapiers, une forge et un atelier de charpente et menuiserie installé dans « un wagon de bois » amené à la colonie par un compagnon. A l’automne 1904 une série de six vues de la colonie avait été éditée en cartes postales. En mars 1905 la colonie fut complétée par un bâtiment en fibrociment de 10 pièces constituant le foyer principal de la communauté.

Dans un bilan paru dans Le Libertaire (16 janvier 1906), Fortuné vantait les succès de la colonie — « La hutte primitive où seul je rêvais et espérais ce qui est aujourd’hui, est bien loin » —, lançait un appel à de « nouveaux concours sains » et à une souscription pour monter un atelier d’imprimerie.

Après des succès relatifs vint l’échec. C’est que les problèmes financiers étaient difficiles à résoudre en dépit des souscriptions (380 f. environ recueillis en juillet 1904) et des emprunts lancés en août 1904 et janvier 1906. Et pas seulement les problèmes financiers. Le heurt des caractères, l’ignorance des choses de la terre, l’insouciance aussi rendaient pénible la cohabitation d’éléments hétérogènes. F. Henry, lui-même, n’était pas exempt de reproches : Sa parole « claire et tranchante » dénotait un caractère assez autoritaire et cela suffit à expliquer que les « éléments discordants » aient quitté la colonie à partir de 1905 (Francis Jourdain, revue Europe, n° 54, juin 1950, pp. 71-77). Quand l’expérience prendra fin, seuls F. Henry et sa compagne l’auront vécue de bout en bout.

En novembre 1905, lors du procès de Malato et “l’affaire de la rue de Rohan” (attentat contre le roi d’Espagne Alphonse XIII), Fortuné Henry, qui assistait au procès, fut à l’origine d’un vif incident en prenant la défense de son frère Émile Henry auquel s’était attaqué le procureur Bulot.

A l’automne 1907, lors de l’affaire Matha — inculpé de “complicité de fabrication de fausse monnaie” à la suite de la découverte au local du Libertaire dans une cour de fausses pièces et d’un exemplaire du Cubillot — Fortuné Henry avait violemment protesté contre la perquisition faite à la colonie et avait accusé la police d’avoir déposé la caisse contenant les fausses pièces. Le 4 décembre 1907 il fut condamné à Charleville à 15 jours de prison pour « coups et blessures ».

En 1907, F. Henry avait porté sur ses compagnons de L’Essai ce jugement sévère qui explique l’échec final : « Il est passé à Aiglemont, comme d’ailleurs il est passé et passera dans toutes les tentatives libertaires, à côté des éléments sédentaires, des philosophes trop philosophes, des camarades ayant préjugé de leurs forces et de leur volonté, des partisans d’absolu, des paresseux, des estampeurs croyant avoir trouvé le refuge rêvé, enfin des malhonnêtes moralement parlant » (cf. Le Libertaire, n° 21, 24 mars 1907).

Quelques réalisations toutefois, en dehors des essais agricoles, sont à l’actif de l’expérience. C’est ainsi que fonctionna une imprimerie qui publia une dizaine de brochures et deux journaux, Le Cubilot (n° 1, 10-23 juin 1906 — n° 45, 29 décembre 1907-20 décembre 1907) dont le gérant était André Mounier, suivi par Le Communiste (n° 1, 15 janvier 1908, n° 2 et, semble-t-il, dernier, 2 février 1908) dont le gérant était Fortuné Henry.

Lors de la dissolution de la colonie, les derniers colons avaient liquidé ce qui en restait et avaient versé, par l’intermédiaire du Libertaire, à La Ruche de Sébastien Faure et à L’Avenir social de Madeleine Vernet environ 600 francs à chacune (Le libertaire, 25 avril 1909).

Après l’échec de la Colonie, F. Henry aurait récupéré le matériel d’imprimerie sur lequel il aurait édité le journal hebdomadaire La mère peinard(Parc Saint-Maur, au moins 7 numéros à partir de septembre (?) 1908) dont le gérant était Charles Favier. Ce journal fut violemment critiqué pour “sa vulgarité” dans les colonnes des Temps nouveaux de Jean Grave. il s’était associé à un certain Collongy pour monter l’imprimerie La Moderne du Parc Saint-Maur : s’agit il du typographe socialiste révolutionnaire Louis Collongy (voir le Maitron) ?

En octobre 1908 il avait adhéré au syndicat CGT des correcteurs.

En février 1909, l’imprimerie La Moderne devint une société coopérative de production dont le conseil d’administration fut dirigé par A. Lévy, ancien trésorier de la CGT. Elle se chargea notamment de l’impression des trois organes des syndicats des limonadiers, des choristes et des artistes lyriques.

En 1910 il aurait été le secrétaire de rédaction du journal du syndicat des terrassiers. Il demeurait 34 rue du Port Arthur à Champigny dans un pavillon dont il était propriétaire et travaillait, semble-t-il comme ouvrier puisatier.

Inscrit au Carnet B, F. Henry, maintenu réformé le 5 janvier 1915, ne fut pas mobilisé. Selon un rapport de police daté d’octobre 1924 il installa alors dans son pavillon un atelier de fabrication de supports de mitrailleuses et devint un fournisseur de l’armée et n’eut plus de contacts avec le mouvement libertaire parisien.

Oeuvre : Communisme expérimental, Publications de la colonie communiste d’Aiglemont, n° 1, 1905. — L’Essai, Aiglemont, Ardennes, 1903, 16 p. — Grève et sabotage, I (La grève intermittente), Publications de la colonie communiste d’Aiglemont, n° 9, 1908, Bibl. Nat., 8° R. 22 482. 2e édition, 1908, Le Parc-Saint-Maur, Seine, 32 p. — Lettres de Pioupious, Publications de la colonie communiste d’Aiglemont, n° 4, 1906, Musée social, 14 575, 2e édition, 1908, Le Parc-Saint-Maur, Seine, 32 p. — Ravachol anarchiste ? Parfaitement, Bibliothèque anarchiste, Paris, 1892, 20 p., Arch. PPo. B a/77.


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