Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

JOYEUX Maurice, Alexis. “MONTLUC” ; “Alfred LIRON”

Né le 29 janvier 1910 à Paris, Xe — mort le 8 décembre 1991 — Serrurier ; ouvrier mécanicien ; libraire ; expéditionnaire à l’UNEDIC — UA — FA — CGTU — CNTF — CGTFO — Paris
Article mis en ligne le 14 mai 2015
dernière modification le 23 juillet 2024

par ps

Fils d’un vendeur dans un magasin d’ameublement, militant socialiste, tué au début de la Première Guerre mondiale, Maurice Joyeux fut élevé à Levallois-Perret par sa mère et son beau-père, franc-maçon et socialiste. Á l’âge de 14 ans, il passa pour la première fois en correctionnelle et fut condamné à 1000 francs d’amende pour avoir cassé une côte au patron chez lequel il faisait son apprentissage de serrurier, qui avait levé la main sur lui. En rupture avec sa famille, il exerça en province diverses professions et, en 1927, touché par la campagne en faveur de Sacco et Vanzetti, il prit un premier contact avec les anarchistes. Il adhéra au syndicat CGTU des serruriers où il milita plusieurs années, cherchant sa voie entre les communistes et les anarchistes vers lesquels finalement son tempérament et sa réflexion le porteront.

En 1928, il devança l’appel et partit effectuer son service militaire au Maroc dans le 135e régiment du train automobile, puis, après avoir écopé d’un an de prison pour une altercation avec son supérieur, il finit dans un régiment disciplinaire à Colomb-Béchar (Algérie).

De retour à Paris et sans travail, il se mit à fréquenter les comités de chômeurs. Arrêté le 16 février 1933, suite à l’occupation et au saccage du consulat polonais à Levallois-Perret (Seine) pour protester contre la mort d’un ouvrier polonais dans un baraquement où des rats lui avaient mangé la moitié d’un bras, il fut incarcéré à la prison de la Santé. Il comparut le 12 avril devant la 13e Chambre correctionnelle qui le condamna à trois mois de prison et à 25 francs d’amende pour bris de clôture, violation de domicile et vagabondage. À sa sortie de prison, en mai, il adhéra au Secours Rouge International, au Comité de lutte contre la guerre et au Comité de chômeurs du XIVe arr. dont il devint le secrétaire. Le 14 juin, il fut de nouveau arrêté et, les 17, 18, 20 juin, des réunions furent organisées par le SRI pour protester contre cette arrestation. En 1935, il fut le délégué du Comité interprofessionnel du XIVe arr. au congrès de la CGTU. Il y fut particulièrement choqué par la violence des attaques communistes contre la minorité syndicaliste révolutionnaire — dont il fit état dans Le Consulat polonais — et qui confirma les propos de la philosophe Simone Weil.

Lors du Front populaire et du déclenchement de la guerre d’Espagne, il purgeait à La Santé six mois pour « coups et blessures à agent ». En décembre 1936, il fut inscrit sur la liste noire n°5 du PCF (n° d’exclusion 442) comme « exclu du syndicat général unitaire du bâtiment pour avoir escroqué le Comité intersyndical du XIVe arrondissement et différentes organisations ».

Le 18 avril 1937 se tint une réunion, 100 rue Cardinet, où parlèrent Clerc pour le POI et Joyeux pour l’Union anarchiste, « 25 ans, brun, hirsute ». Le préfet de police écrivit le 1er juin (ou juillet) qu’ils n’étaient pas connus comme militants du POI (sic), et qu’aucune recherche ne pouvait être effectuée à défaut d’indication d’état-civil.

Condamné pour mendicité le 9 septembre 1937 à quinze jours de prison, Maurice Joyeux fut, à sa sortie, hospitalisé à la maison départementale de Nanterre (Seine) ; il était alors proche de la clochardisation.

Il ne répondit pas à l’ordre de mobilisation lors de la déclaration de guerre et fut arrêté au début de l’occupation. Interné au fort de Montluc, il participa à une mutinerie le 1er janvier 1941 et s’évada. Arrêté en octobre 1941 à Paris, il fut condamné le 23 janvier 1942, par le tribunal militaire de Lyon, à quatre ans de prison avec confusion des peines. Transféré à Lodève puis au camp de Mauzac où il rencontra l’écrivain Jean Cassou, il fut ensuite incarcéré à la prison militaire de Vancia où en 1944 il tenta en vain d’organiser une mutinerie, puis au fort de Montluc à Lyon jusqu’à l’expiration de sa peine début 1945.

Après la Libération, M. Joyeux, qui avait trouvé un emploi d’ajusteur dans un atelier de l’île de la Jatte, assista au congrès de reconstitution du mouvement anarchiste de juillet 1945 à Paris. Membre du comité national de la Fédération anarchiste, en tant que secrétaire à la propagande, il entreprit à maintes reprises des tournées de conférences ; membre de la rédaction du Libertaire, il en assuma la gérance à partir du 21 août 1947 et conserva ce poste jusqu’au 5 août 1949.

Pour un article paru dans le journal le 3 avril 1947 et intitulé « Préparation militaire », il fut condamné le 17 février 1948, à 5 000 francs d’amende par la 17e Chambre correctionnelle et, le 4 novembre 1950, pour apologie de meurtre, à propos d’un article paru dans Le Libertaire du 17 février, à 40 000 francs d’amende. En décembre 1950, il perdit ses postes de responsabilité à la FA et au journal à la suite de dissensions qui tenaient plus aux personnes qu’à l’idéologie. Ce fut vers 1952 qu’il exploita une librairie-papeterie, « Le Château des brouillards », 53 bis rue Lamarck dans le XVIIIe arr., qui devint rapidement un lieu de rencontre d’écrivains et d’artistes, dont il fit ses amis, et un point de ralliement pour tous les militants opposés aux agissements de l’OPB et de Georges Fontenis au sein de la Fédération anarchiste. Il revendit la librairie en 1958.

M. Joyeux fut, ainsi que d’autres militants, notamment les frères Aristide et Paul Lapeyre, Maurice Fayolle, André Arru, Georges Vincey, exclu de la Fédération anarchiste après la tenue du congrès de Bordeaux des 31 mai, 1er et 2 juin 1952, pour s’être opposé à la politique où s’était engagée la fédération sous la direction de son secrétaire général Georges Fontenis. L’année suivante, il prit part à la reconstitution de la Fédération anarchiste qui avait disparu après le congrès de Paris des 23, 24 et 25 mai 1953, pour faire place à la Fédération communiste libertaire.

Avec Suzy Chevet, qu’il avait rencontrée peu après la Libération lors d’une manifestation du 1er mai et qui était devenue sa compagne, il fut la cheville ouvrière du lancement, en octobre 1954, de l’organe de la nouvelle Fédération, Le Monde libertaire ainsi que l’organisateur des galas annuels de soutien au journal, d’abord au Moulin de la Galette puis à la salle de la Mutualité. Lors du congrès de la Fédération anarchiste qui eut lieu à Vichy les 19, 20, 21 mai 1956, il entra au comité de rédaction du Monde libertaire, auquel il collabora souvent sous les pseudonymes de “Montluc” et “Vancia” ; le congrès qui eut lieu à Trélazé (Maine-et-Loire) les 4, 5, et 6 juin 1960 le maintint dans ces fonctions. Maurice Joyeux fut membre de l’Association pour l’étude et la diffusion des philosophies rationalistes constituée en vue d’éviter une nouvelle prise en main de la Fédération par des éléments favorables à une organisation de type autoritaire.

Contrairement à la FCL qui soutint activement les indépendantistes, la Fédération anarchiste fut en majorité hostile à la guerre d’Algérie et à la guerre d’indépendance que menaient les Algériens. Dans le Bulletin intérieur de la Fédération de février 1961, il déclarait que le nationalisme algérien « pas plus que tout autre nationalisme ne saurait avoir l’agrément des libertaires » et, citant Le Monde libertaire dans son livre L’Anarchie et la révolte de la jeunesse (Paris, 1970, pp. 70-71), il écrivait : notre prise de position « contre la guerre d’Algérie ne peut être, en aucun cas, une approbation du FLN. En Algérie, les hommes ne luttent pas pour leur libération mais pour se donner de nouveaux maîtres ».

Sur le terrain syndical, Maurice Joyeux participa en 1946 à la constitution de la CNTF comme cela avait été recommandé dans une motion du congrès tenu par la FA à Dijon, et bien qu’il fût en désaccord avec cette orientation. Puis, sans doute en 1950, il adhéra à la CGT-Force ouvrière où il milita activement avec un grand nombre de syndicalistes de la FA. Il y défendit depuis 1947 le concept de « grève gestionnaire » dont il est possible de résumer ainsi le contenu : seule l’égalité économique supprime les classes au sein de l’entreprise ; elle justifie donc la prise en main par les travailleurs des moyens de production et d’échange. Lorsqu’une grève éclate dans une ou plusieurs grandes entreprises, voire à l’échelon régional ou national, les exemples historiques de 1936 et 1968 permettent d’affirmer que c’est seulement durant une courte période de deux à trois semaines que tout est possible. « C’est l’instant où, de grève revendicative, de grève de refus, la grève doit devenir expropriatrice puis gestionnaire. C’est l’instant où les usines doivent se remettre à tourner sans leur direction et sous le contrôle des organisations syndicales, des comités d’entreprises, des conseils d’ouvriers, la manière importe peu. C’est l’instance de la chance révolutionnaire » (cf. Le Monde libertaire, février 1972). Il fut l’un des délégués anarcho-syndicalistes à de nombreux congrès de FO et fut à la fin de sa vie membre de la commission exécutive des syndicats CGT-FO de la région parisienne.

Au printemps 1967 et en vue du prochain congrès de la FA, au sein de laquelle étaient apparus de jeunes groupes influencés par le situationnisme et annonciateurs des évènements de mai 68, Maurice Joyeux fut le rédacteur de l’opuscule L’hydre de Lerne, sous-titré « la maladie infantile de l’anarchie » dans lequel, après un bref historique du mouvement anarchiste en France et de ses diverses crises, il attaquait assez violemment l’Union des groupes anarchistes communistes (UGAC), les situationnistes et nommément quelques militants dont Helène Gouroussi, permanente de la FA, ainsi que P. Blachier et Marc Prévotel du Groupe des liaisons internationales (GLI). Ce texte, distribué lors du congrès tenu à Bordeaux les 13-15 mai 1967, fut à l’origine du départ et de l’exclusion de plusieurs individus et groupes, notamment celui de Nanterre (voir Jean-Pierre Duteuil).

Lors du mouvement de mai 1968, alors qu’il était employé par l’UNEDIC, il annonça au directeur qu’il était en grève mais que, compte tenu de la nécessité de régler les chômeurs, il se tenait à sa disposition « à condition de ne pas être payé » (témoignage d’André Bergeron, Le Monde Libertaire, 19 décembre 1991).

Il fut l’un des délégués de la FA au congrès international anarchiste de Carrare en septembre 1968 où il s’opposa notamment à Daniel Cohn-Bendit et où fut fondée l’Internationale des fédérations anarchistes (IFA) dont le secrétariat fut confié aux militants de l’ORA, une tendance communiste libertaire au sein de la FA (voir Guy Malouvier).

Au sein de la Fédération anarchiste, Maurice Joyeux anima le “groupe libertaire Louise-Michel” qui publia La Rue, revue trimestrielle culturelle dont il avait été avec sa compagne le fondateur et qui parut de mai 1968 à 1986.

Après l’élection de F. Mitterrand à la Présidence de la République, il écrivait, sans illusions, dès le mois de septembre 1981 : « En vérité nous sommes toujours sous un même régime, vu sous un autre angle. M. Delors a les accents de M. Barre lorsqu’il fait appel au sens civique des citoyens ; il est vrai qu’entre son premier patron Chaban-Delmas et son second patron Mitterrand, la différence a la minceur d’une illusion… Non, rien n’a vraiment changé, les dames du ministère s’agitent, les jeunes ministres font des couacs, les vieux roublards se glissent vers l’objectif de télé afin de faire admirer leur meilleur profil. En fait, Mauroy seul semble différent de ce ramassis de politicards cuits dans leur jus depuis plus de vingt ans qui, inquiets, contemplent les jeunes Rastignac que les dernières élections ont jeté dans l’enceinte du Palais-Bourbon… » (Le Monde Libertaire, 17 septembre 1981)

Animateur d’émissions sur Radio Libertaire, il en fut le premier invité à sa création en 1981. Puis il s’effaça volontairement du militantisme pour se consacrer à l’écriture et la rédaction de ses mémoires. Toutefois de 1980 à 1990, il assuma la direction de publication du Monde Libertaire, devenu hebdomadaire.

Maurice Joyeux, qui fut l’ami d’André Breton, d’Albert Camus, de Michel Ragon, des frères Prévert, de Georges Brassens et de Léo Ferré entre autres, est décédé le 8 décembre 1991 à Paris des suites d’une longue maladie. Il fut incinéré le 16 décembre au cimetière du Père-Lachaise.

ŒUVRE : Périodiques et ouvrages cités — L’Hydre de Lerne, 1967, réed. Ed. du Monde libertaire, 1980 — Le Dénonciateur (Pièce en six tableaux), La Rue, 1968 — L’Anarchie et la société moderne, Paris, 1969 — Mutinerie à Montluc, La Rue, 1971 — Dans ses ouvrages Le Consulat polonais et Mutinerie à Montluc, M. Joyeux aurait conté de façon “rigoureusement exacte” sa vie en 1932 et en 1941 (Lettre à J. Maitron, 24 avril 1980) — Autogestion, gestion directe, gestion ouvrière, La Rue, 1972 — Les Anarchistes et la guerre en Palestine, 64 p., 1974 — Le Consulat polonais, Calmann-Lévy, 1975 — Crise, Riposte !, 1976 — L’Anarchie dans la société contemporaine, Casterman, 1977 — Les anarchistes et l’organisation, Volonté anarchiste, 1979 — Histoire du journal de l’organisation des anarchistes, Volonté anarchiste, 1984 — Ce que je crois, Les Cahiers du vent du ch’min, 1984 — Souvenirs d’un anarchiste, T.1, 1986, T.2 Sous les plis du drapeau noir, Ed. du Monde libertaire, 1988.


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