Dictionnaire international des militants anarchistes
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LIZCANO, Conrado
Né à Alcazar de San Juan (Cuenca) en 1917 - mort en 2000 - FIJL – MLE – CNT – Nouvelle-Castille - Oran (Algérie) – Paris – Alcoy (Alicante)
Article mis en ligne le 29 avril 2008
dernière modification le 17 mars 2024

par R.D.

Aitodidacte épris de littérature et militant libertaire, Conrado Lizcano, pendant la guerre civile, avait organisé des cours et des groupes théâtraux, publié des journaux muraux pour les miliciens sur le front. Commissaire de bataillon sur le front d’Andalousie, il se trouvait à la fin de la guerre à Pozoblanco. Avec un groupe d’environ 300 militaires et civils, il parvenait à gagner les environs de Ciudads Real, puis Albacete et enfin le 29 mars 1939 le port de Cartagène où, avec l’aide du colonel républicain D. José Pérez Faras, commandant de la base navale qui sera plus tard fusillé par les franquistes, tous parvenaient à embarquer sur le pétrolier Campillo qui partit le jour même pour Oran. C. Lizcano évoquat ainsi cette arrivée dans le port algérien : « …Après trois heures d’attente, nous sommes entrés lentement dans la rade du port, suivis par deux chaloupes pleines de policiers et de vigiles maritimes… De chaque coté de notre bateau il y en avit trois autres de plus grande dimension qui venaient de Valence et d’Alicante. Sur un de ces bateaux le « Stanbrook « , immatriculé en Angleterre, s’agglutinaient sur le pont et autour des cheminées, des grappes d’hommes, femmes et enfants, grelottant de froid et de faim, noirs de fumée et obligés de rester debout tellement ils étaient nombreux… c’était un spectacle d’horreur. Les autorités militaires françaises ne semblaient pas vouloir s’occuper de cette tragédie humaine. Elles se bornaient à éloigner du bateau les curieux qui essayaient de s’approcher. Très vite plusieurs cordons de gendarmes et de soldats sénégalais se déployèrent et empêchèrent, souvent rudement, les Oranais –qui étaient en majorité d’origine espagnole - d’offrir aux réfugiés des sandwichs, des cigarettes, du chocolat ou des fruits. Nous sommes restés 12 jours à bord, ouis on nous a fait descendre à terre et on nous a installé sous des tentes. Pendant tout ce temps nous avons vraiment souffert de la faim… ».

Trois semaines plus tard les réfugiés hommes étaient amenés à la gare d’Oran d’où dans des wagons à bestiaux ils étaient transférés au camp de concentration Morand à Boghari : « …Ce n’était pas nous qui inaugurions cet espace concentrationnaire ; il y avait déjà un fort noyau de compatriotes qui nous avaient précédé, d’autres arriveraient ensuite jusqu’à ce que nous soyons environ 2700 internés, âgés de 19 à 58 ans. Les plus âgés, les femmes et les enfants avaient été envoyés à la prison d’Oran et d’autres à Suzzoni. Il me faut citer cette triste et honteuse anecdote d’un enfant de 8 ans, fils de réfugiés, qui errait seul dans les rues d’Oran à qui l’on demanda ce qu’il faisait dans les rues et où il habitait et qui répondit : « Je vis à la prison avec ma mère, mon père on l’a envoyé dans le désert »…

« La vie dans les baraquements du camp Morand (Boghari) était très pénible : nous étions 50 par baraque, avec des lits de toile et de fer soudés les uns aux autres. Il fallait supporter les mauvaises odeurs, les humeurs et les bruits des uns et des autres ; mais, en général, les réfugiés en tant que collectif ont toujours maintenu une certaine morale conviviale et un respect mutuel que nous devions sans aucun doute aux udéaux sociaux et politiques pour lesquels nous avions combattu en Espagne… En ce qui concerne le mouvement libertaire (CNT, FAI, FIJL et Mujeres Libres) nous nous étions organisés par région selon l’ancien principe fédéraliste de l’organisation syndicale libertaire. Il y avait les régionales du Levant, la Catalane, l’andalouse, les Asturies, etc. Comme j’étais né à Alcazar de San Juan (Ciudad Real), je m’incorporais à la régionale du Centre. Nos réunions avaient lieu dans un baraquement. Près de 200 militants de diverses provinces y assistaient. C’est là que j’ai connu le célèbre anarchiste madrilène, chef du 4e Coros d’armée de la République, le compagnon Cipriano Mera. C’était un homme de petite taille, sec, nerveux, pas trop loquace, avec un visage profondément ridé et aux mains rendus caleuses par son métier de maçon… Il était parti de Madrid le 28 mars 1939 dans le dernier avion de chasse, quelques heures avant la chute de la ville. Un représentant de la Junte de défense nationale lui avait donné 500 livres anglaises qu’il avait changées en francs qu’il mit solidairement à la disposition des compagnons qui allaient le voir dans sa baraque… Mera donnait aussi le bon exemple, empoignant la truelle et le marteau pour construire les latrines et les lavoirs collectifs, tandis que la majorité de la population internée désespérée et atone restait amolie et oisive. Quelques semaines plus tard nous avons appris que notre compagnon s’était enfui… Il avait eu raison car quelques mois plus tard des policiers espagnols accompagnés d’agents de la Gestapo vinrent en Afrique du Nord chercher des otages : l’anarchiste Cipriano Mera et le socialiste Manuel Rodriguez ancien maire d’Elche et gouverneur civil de Castellon. Mera sera arrêté à Casablanca et ils ne trouvèrent jamais Rodriguez qui est resté caché chez un curé français jusqu’au débarquement américain. »

camp de Bouarfa

Puis en août 1939 les réfugiés étaient incorporés dans une dizaine de Compagnies de Travailleurs étrangers et envoyés dans le désert du Sahara pour y construire le chemin de fer transsaharien qui devait réunir l’oasis de Colomb-Béchar (Algérie) à Bouarfa au Maroc : « Le voyage fut très long et pénible : trois jours à travers les sables, entassés dans des wagons à bestiaux, avec très peu d’eau et de nourriture. A l’arivée à l’oasis ce fut encore pure : il s nous enfermèrent dans une écurie à chameaux vode et à peine aérée et ne nous donnèrent à manger que dix heures plus tard… Notre nouvelle profession ce fit le pic, la pelle et la pioche. On nous envoya à 4 kilomètres de l’oasis pour enlever le sable d’une énorme dune pétrifiée de plus de 2000m de longueur. La température était étouffante, plus de 40° à l’ombre et l’eau rare et chaude. C’est là qu’ont commencé les dysenteries, les crises de paludisme, les vomissements et les forts maux de tête. Personne n’était habitué à ces climats et il nnous fallait les supporter et souffrir… Notre campement moitié militaire et moitié ouvrier, consistait en trois douzaines de tentes « Marabouts » sous le soleil ardent, entourées par les sables, les pierres, les vipères et les tarentules qui, pendant les nuits froides d’Afrique, nous faisaient quelques visites clandestines et peu agréables… Dans notre « Marabout » il y avait 4 cénétistes, 1 socialiste, 1 républicain ancien maire de Liria, 1 militant du POUM et un autre du Parti Syndicaliste. Il n’y eut jamais de disputes entre nous et nous étions bien unis.

« Après la déclaration de guerre en septembre 1939, les mesures répressives se sont aggravées : au moindre geste de protestation ou parce que ton rythme de travail n’était pas assez élevé, on t’envoyait au camp disciplinaire, le triste et célèbre « quadrilatère » où on t’attachait à la queue d’un cheval qui galopait jusqu’à ce que le puni tombe exangue aux pieds de l’animal. Aller au « quadrilatère » était un passeport sûr pour l’enfer. C’est là que sont morts trois militants des jeunesses libertaires – Antonio Moreno, Alvarez et Jaraba – et deux jeunes communistes anciens pilotes dans l’aviation ». C’est au cours de cet internement au Sahara, qu’un jour Conrado Lizcano croisera un groupe de juifs internés dans un camp : « …Un jour nous sommes passés par un vieux château ou caserne, où étaient enfermés des centaines de juifs qui avaient été arrêtés à Oran, dépouillés de tous leurs biens et séparés de leurs familles. Nous avons pu parler avec quelques uns d’entre eux : ils étaient gardés par des arabes et des légionnaires nazis qui, avec des méthodes très brutales, les soumettaient à de très durs travaux et les maltraitaient constamment par les gestes comme par la parole. Lorsqu’ils apprirent notre condition de réfugiés espagnols, ils nous saluèrent avec affection. Ils avaient gardé comme nous l’espoir dans le triomphe de la liberté et de la justice, mais beaucoup avaient peur, vu les traitements inhumains auxquels ils étaient soumis, de ne pas sirtir vivants de cet enfer oublié en plein désert. Notre situation était très mauvaise, mais celle des juifs était bien pire encore ». Après deux années dans cet enfer et le débarquement américain en Afrique du Nord, C. Lizcano parvenait en février 1942 à regagner Oran où il allait militer dans le mouvement libertaire espagnol en exil.

En 1946 il était le secrétaire de la Fédération Inérique des jeunesses libertaires (FIJL) d’Afrique du Nord. Il collaborait à Solidaridad obrera (Alger, 1945-1946) et animait de nombreuses conférences à la FL d’Oran de la FIJL et participait sans doute aux activités du groupe théâtral Ideales monté à Oran par les Jeunesses Libertaires. A l’été 1947, il fut avec José M. Puyol, l’organisateur pour la FIJL d’une exposition d’art et d’artisanat espagnol tenue à la salle Miami du 23 juillet au 3 août et où furent notamment exposées les peontures de Nogués, Alberto Munoz, Carmelo Llopis, Gonzalez et Mario. Il avait également collaboré au journal Mi Tierra (Paris, 1956).

Exposition d’art organosée par la FIJL à Oran (été 1947)

Début 1948 il fut nommé secrétaire du nouveau Comité continental (Afrique) de la FIJL dont le siège était à Oran et dont les autres membres étaient José Manzanares (secrétaire à la propagande), Oliverio Fernandez (relations) et Francisco Climent (secrétaire d’administration).

Rapatrié en France à la fin de la guerre d’Algérie, il était à Paris au milieu des années 1960 le secrétaire de la Commission de relations de la zone nord du MLE. En août 1964 il participa au camping international libertaire dont il fit un compte rendu dans Tierra y libertad (Mexico, octobre 1964).

Après la mort de Franco il retournait en Espagne et militait à la CNT d’Altea et Alcoy. Après la scission de la CNT survenue en Espagne, il se montra toujours favorable à une réunification. En 1991 il faisait partie de la junte de l’Ateneo libertario d’Alicante. Il était également le directeur de la revue Siembra (Alicante, une trentaine de numéros de 1991 à 1999) organe de l’association culturelle Anselmo Lorenzo.

Conrado Lizcano est décédé à Altea (Alicante) en 2000.

Œuvres : - En medio de los escombros (Buenos Aires, 1960) ; - Cronica en el tiempo de los refugiados españoles en Africa del Norte », (Alcoy, 1988, 25 p., témoignage déposé au CIRA Marseille)

Outre les titres cités dans la notice, Conrado Lizcano a collaboré à un très grand nombre de journaux de l’exil et en Espagne dont Ateneo (Alcoy), Bicel (Madrid) de la Fondation Anselmo Lorenzo, Boletin Interior FIJL (1953), Castilla Libertaria (1963), Cenit, Ciudad de Alcoy, CNT (Madrid, 1978…), Esfuerzo (Paris), España fuera de España (Londres), Fragua Social (Valence, 1977-78), La Oveja Negra, Libre Pensamiento, Mujeres Libres (Londres1964-1973, puis Montady 1973-1976), Nervio (Paris), Nueva Senda (1954…), Polemica (Barcelone), El rebelde, Solidaridad (1961), Solidaridad obrera, Tierra y Libertad (Mexico), Umbral, Bulletin du CIRA (Marseille).


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