Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

MUHSAM, Erich

Né à Berlin le 6 avril 1878 — assassiné dans la nuit du 9 au 10 juillet 1934 — Berlin — Münich (Bavière)
Article mis en ligne le 2 octobre 2008
dernière modification le 8 août 2024

par R.D.
Erich Mühsam (Berlin, 1928)

Erich Mühsam était le fils d’un pharmacien juif de nationalité allemande qui voulut lui donner une éducation très autoritaire contre laquelle il se révoltera très vite. En janvier 1896 il était exclu du collège de Lübeck pour « menées socialistes » après avoir écrit dans la feuille social-démocrate locale un article dénonçant les pratiques dictatoriales des professeurs. Ses talents littéraires furent extrêmement précoces : à 11 ans il écrivait des fables et à 16 ans il gagnait de l’argent grâce à ses vers satiriques. A l’âge de 22 ans il avait abandonné la pharmacie familiale pour se consacrer à l’agitation culturelle où il allait devenir un des meilleurs représentants de la nouvelle génération dans ce domaine.

Arrivé à Berlin en 1900 il travailla dans une fabrique de produits chimiques et adhéra au Cercle Neue Gemeinschaft (Nouvelle Communauté) qui regroupait de jeunes intellectuels politisés et partisans de la vie communautaire dont Martin Buber et Gustav Landauer. C’est sous l’influence de ce dernier, qu’après avoir quitté le Cercle, Mühsam découvrit les écrits anarchistes et en particulier ceux de Bakounine. Il écrira plus tard : « J’étais anarchiste avant de savoir ce qu’était l’anarchisme ». Il collabora à cette époque à plusieurs titres de la presse libertaire dont Der Freie Arbeiter, Der Anarchist et surtout la revue Kampf fondée par Johannes Holzmann Senna Hoy et édita le journal Der Arme Teufel (Berlin). Il commença alors à devenir très connu dans le milieu des cabarets littéraires et devint le producteur du Cabaret zum Peter Hille, du nom d’un ancien membre de la Nouvelle Communauté qui venait de décéder.

Entre 1904 et 1907 il voyagea à travers l’Europe : en Italie, en Suisse où il rencontra Fritz Brupbacher biographe de Bakounine, en Autriche et en France où il fréquenta les cabarets du Lapin Agile et du Chat Noir et participa à diverses réunions du club anarchiste allemand de Paris.

En 1905 il figurait comme résidant à Zürich sur un État signalétique des anarchistes étrangers non expulsés résidant hors de France.

A son retour à Berlin il poursuivit sa collaboration, à Der Freie Arbeiter et à son supplément mensuel Generalstreik où il appela à la lutte antimilitariste. Le 30 mai 1906, pour avoir écrit la brochure “Les anarchistes d’Allemagne”, il fut poursuivi en correctionnelle à Berlin avec le menuisier Paul Alisch et l’apprenti ébéniste Adolphe Frintz qui l’avaient distribué. Ils furent tous trois condamnés à des amendes de 150 à 500 marks pour “excitation à la haine de classes”.

Lors du congrès international anarchiste tenu à Amsterdam en 1907 il appela à la désobéissance civile et au refus de payer l’impôt pour l’armée. Cette même année, pour avoir rédigé un tract sur ces thèmes, il fut condamné à 500 marks d’amende pour “avoir provoqué à la haine de classe et encouragé le non-respect de la loi”.

En novembre 1908 il s’installa à Münich où il fonda le groupe Tat (Action) adhérent à la Sozialistischer Bund qui venait d’être fondé par Landauer. Puis il se détacha peu à peu de l’influence de Landauer et se revendiqua de l’anarcho-communisme. Axant sa propagande vers le sous-prolétariat, il écrivait : « Parmi ces hommes dont les propres penchants et la vie ont fait des rebelles… ne devrait on pas trouver des hommes qui soient des nôtres, des hommes dont l’instinct de destruction n’est que l’expression confuse d’un désir positif d’agir »(cf. Der Sozialist, 1er août 1909). Arrêté à plusieurs reprises et poursuivi en particulier pour avoir organisé des manifestations de chômeurs, il réussit à se faire libérer faute de preuves, mais toutes ses inculpations vinrent à bout du groupe Tat. A cette époque il collabora notamment aux revues Simplizissimus, Jugend et autres journaux satyriques.

En 1911 il lançait un nouveau journal Kaïn (Münich, 40 numéros d’avril 1911 à juin 1914) qui atteindra un tirage de 3.000 exemplaires. Vers cette même époque, avec Landauer et les frères Hart, il tenta d’organiser près de Berlin un essai de société nouvelle qui fut un échec.

Lorsque la guerre éclata, il se rallia dans un premier temps aux partisans de l’union sacrée (Manifeste des 16) ce qui lui valut d’être durement critiqué notamment par Landauer. Puis s’apercevant de son erreur, il s’engagea contre la guerre et avec Gustav Landauer, tenta avec lui et des personnalités comme Heinrich Mann et le professeur Brentano de réunir intellectuels et humanistes pour créer un courant pacifiste. Cette attitude « défaitiste » entraîna sa mise en résidence forcée dans les Alpes bavaroises. C’est à cette époque qu’il avait notamment écrit ce texte :

“L"Europe a enlevé son fard,
Sans rouge ni poudre
La voilà, répugnante, la garce,
Puante et faisant des grimaces
 
Elle a jeté à coté de la fausse poitrine
Le corset des bonnes mœurs
Au lieu de ses côtes, la putain propose
Des baïonnettes
 
Europe ! Ferme ta chemise !
Le spectacle de ta nudité
Est poison et manque de goût,
Crêve donc !”

En janvier 1918, lors d’une grève à l’usine Krupp de Münich il prit la parole devant plusieurs dizaines de milliers de travailleurs les appelant à la grève générale. les autorités pour s’en débarrasser lui imposèrent un service civil qu’il refusa. Arrêté pour insoumission, il ne fut libéré de la forteresse de Traustein — où était également interné le compagnon bavarois Sontheimer, que le 5 novembre 1918 peu avant la révolution.

Lors de la révolution allemande de novembre 1918, il fut l’un des fondateurs de l’Union des internationalistes révolutionnaires, refit paraître Kaïn (13 numéros de novembre 1918 à avril 1919) et l’un des acteurs du mouvement en Bavière où il fit partie du Comité exécutif du Conseil ouvrier révolutionnaire de Münich ; c’est lui qui, après la chute de la monarchie bavaroise, avait proposé la proclamation de la République des conseils de Bavière qui fut ratifiée le 6 avril 1919 par 243 voix pour, contre 70 votes. Le 13 avril, lors d’une tentative de putsch de la garnison de Münich, il était arrêté avec plusieurs autres responsables et était emprisonné à Ansbach. Après la liquidation du conseil par les troupes sur l’ordre du social démocrate Noske, E. Mühsam fut condamné à mort, peine commuée en 15 ans de prison. Interné pendant 6 ans à la forteresse de Niederschonenfeld avec entre autres Ernst Toller, devenu sourd et tuberculeux il fut libéré en 1925 après une une importante campagne d’agitation. Il mit à profit cet emprisonnement pour écrire plusieurs poèmes et pièces propagandistes dont Brennende Erde, Verse eines Kämpfer, Alarm, Manifeste ais zwanzig Jahren, et le drame en cinq actes Judas un hommage à Landauer assassiné le 2 mai 1919 lors de la répression, dont le premier acte fut traduit dans la revue La révolution prolétarienne (n° 4, avril 1925). En septembre 1919 il avait adhéré au parti communiste qu’il quitta 15 jours plus tard. A sa libération il fut accueilli par des milliers d’ouvriers à la gare de Berlin.

Dans un entretien accordé à Marie Thérèse Blanchong et reproduit dans Le Libertaire (14 janvier 1925), outre sa volonté de continuer de lutter pour la libération des 7000 prisonniers politiques en Allemagne, il réaffirmait ses convictions anarchistes : « Je ne suis pas membre du parti communiste et ne songe pas non plus à le devenir. Je suis disciple de Bakounine et antimilitariste. Je suis contre la dictature d’un parti quel qu’il soit. Je veux mener la lutte révolutionnaire avec toutes les tendances du prolétariat et, je n’ai qu’un seul désir, c’est que la classe ouvrière vive en bonne intelligence”). A cette même époque il participait à la campagne du Secours rouge international pour la libération des prisonniers politiques allemands où il appelait « Les jeunesses communistes et les Jeunesses anarchistes à laisser flotter côte à côte et non face à facce, leurs drapeaux » et précisait : « Je fus, suis et reste anarchiste et souhaite que des deux cotés, échouent toutes manœuvres démagogiques qui empêchent l’union de tous les prolétaires révolutionnaires pour le bien des 7000 emprisonnés » (cf. lettre de Mühsam in Le Libertaire 23 février 1925)

Partisan d’un concept de philosophie révolutionnaire, il repoussa la doctrine du matérialisme historique dans son ouvrage « La société libérée de l’État » et se prononça pour le remplacement de l’État par l’organisation de conseils libres d’ouvriers manuels et intellectuels. Il dénonça également le parti communiste russe pour avoir confisqué la révolution et être devenu une dictature prétendant agir au nom du prolétariat.

De 1926 à 1931 il fut l’éditeur de la revue Fanal (Berlin, 58 numéros d’octobre 1926 à juillet 1931) et l’un des fondateurs en 1928 de l’Union anarchiste. Il participa à cette époque à la campagne en faveur de Sacco et Vanzetti et au soutien à Durruti et autres anarchistes espagnols menacés d’expulsion.

A l’arrivée de Hitler au pouvoir, Mühsam, qui habitait le quartier ouvrier de Britz (Berlin), avait refusé de quitter l’Allemagne.

Erich Mühsam (Oranienburg)

Dénoncé sans relâche par la presse nazie, il tenta de créer un large front antifasciste. Goebels l’appelait « ce porc de juif rouge » et l’organe des nazis publiait en première page trois photos : celles de Rosa Luxembourg, de Karl Liebknecht et de Mühsam avec sous la sienne cette légende : « Le seul traître de l’équipe qui n’ait pas été exécuté ». Le 20 février 1933, il présidait le dernier meeting des artistes antifascistes de Berlin. Mühsam fut arrêté le 28 février 1933 alors qu’il tentait de gagner Prague, après l’incendie du Reichstag. Détenu d’abord au camp de Sonnenbrug, près de Berlin, il fut battu et menacé d’exécution à plusieurs reprises. Après avoir refusé de chanter l’hymne nazi, il fut battu jusqu’à l’évanouissement : la nuit suivante il entonna L’Internationale ce qui lui valut un nouveau passage à tabac. Une autre fois, les nazis lui demanderont de creuser sa tombe dans la cour du camp ; Mühsam jettera la pelle à leurs pieds en leur criant « Tuez moi, bande de chiens, mais je ne creuserais pas ma propre tombe ». Sa compagne Zensl, autorisée à le visiter, emportera pour les laver ses vêtements couverts de sang. Puis il fut transféré à la prison de Ploetzensse où en août 1933, suite à la saisie dans sa cellule de divers manuscrits, il fut en septembre transféré au camp de concentration de Brandenburg où chaque jour il était battu par les SA qui lui brisèrent les mains pour l’empêcher d’écrire. Atteint d’une maladie cardiaque, rendu sourd et presque aveugle et tellement affaibli qu’il ne pouvait plus marcher seul, il était hospitalisé puis, en février 1934, était transféré au camp de concentration d’Oranienburg où il retrouvait entre autres le compagnon Kurt Hiller et où il fut chargé de laver les latrines du camp. Lorsque les SS se chargèrent de l’administration du camp, le commandant lui donna 24 heures pour se pendre. Dans la nuit du 9 au 10 juillet 1934, Mühsam fut pendu par ses bourreaux dans les latrines du camp où, le lendemain matin, le compagnon Otto Weber et un groupe de prisonniers juifs le dépendirent. Quelques jours plus tard lors du transfert de Weber et d’autres prisonniers vers Lichtenburg, un compagnon avait fait respecter une minute de silence pour E. Mühsam.

“Je vois l’effroi des hommes ; j’entends le halètement des esclaves
Alors je crie à haute voix : Brisez la loi
Faites sauter l’État. Ayez du courage en vous !
Que vaut la loi ? Que vaut l’État ?
Libre soit l’homme ! Libre soit le Droit !
Seul L’Homme libre connait son propre avis
Brisez la loi ! Que l’État saute !
 
Dans les chaines et dans ce cachot
La meilleure liberté me reste pourtant
On enchaine le corps, on tourmente le sang
L’esprit n’est étouffé ni par l’État, ni par la loi
Mon courage de les briser reste libre
Et le libre courage conduit à l’Action
Rompez la corde qui vous étrangle
Nul autre ne doit être votre guide”
E. Mühsam.

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