Natif d’une famille de petits paysans flamands dont cinq des huit enfants moururent en bas âge, Maurice Wullens perdit sa mère à neuf ans et eut la charge d’élever son frère Marcel et sa sœur. Passionné de lecture comme sa mère et très doué pour l’étude, il réussit, grâce aux privations de son père et au dévouement de son instituteur à l’école primaire de Bergues, à passer le Brevet élémentaire en 1910 puis à entrer à l’École normale d’instituteurs de Douai. C’est là que lui et quatre de ses camarades, Maurice Bataille, Marius Daillie, Alexandre Desvachez et Florimond Wagon, tous élèves de Jules Leroux, formèrent le projet de créer une revue. En octobre 1913 parut le premier numéro des Humbles, « Revue littéraire de la région du Nord » dont Maurice Bataille fut le directeur. Le numéro 2 (novembre) dédié à Maurice Barrès porte comme sous-titre : « Revue littéraire des Primaires » et le texte de présentation s’intitulait « La revanche des Ânes » : « Nous croyons que le moment est venu d’activer l’orientation de nos efforts vers notre but : détruire cette légende stupide que se sont plus à créer et à entretenir quelques intellectuels au dilettantisme mondain et qui fait prononcer le mot « primaire » avec tant de pitié et de dédain. »
A la veille de la guerre, Les Humbles avaient publié six cahiers, dont « Le Chapeau de velours » de Maurice Bataille et une série de « Croquis flamands » de Wullens.
En août 1914, Maurice Wullens, jeune instituteur stagiaire à Steenvoorde (Nord), fut mobilisé au 73e régiment d’Infanterie. Envoyé à Pont-Audemer, puis à Saint-Astier, en Dordogne, et au camp de La Courtine, il refusa de suivre le peloton des élèves-caporaux, ce qui eut pour conséquence de le faire incorporer au premier détachement envoyé au front. Le 30 décembre, il fut grièvement blessé (jambe gauche fracassée, index de la main gauche arraché) en Argonne. Relevé par les soldats allemands, il fut transporté à l’hôpital de Stenay, puis à celui de Darmstadt (Hesse) et, en juillet 1915, fut rapatrié en France comme grand blessé et fut réformé le 2 novembre 1915.
Dans un livre qui ne put paraître qu’en 1920, Pages de mon Carnet, souvenirs de voyage, de campagne et de captivité, livre qui est un témoignage direct, suite de faits et d’impressions notés au jour le jour, Wullens raconta son aventure des dépôts de l’arrière aux tranchées et enfin dans les hôpitaux allemands et le camp de prisonniers. Dédiées à « L’anonyme soldat wurtembourgeois qui, suspendant généreusement son geste de mort », lui avait épargné la vie, ces pages voulaient « sauver du désastre mondial les quelques bribes dignes d’être sauvées », c’est-à-dire le sens de la fraternité entre les hommes par delà les frontières. Le terrible drame de la guerre devait durablement marquer Wullens et conditionner son attitude ultérieure. Ses amis dispersés, certains tués comme Desvachez, Wagon, Dalleré et aussi Jules Leroux, Maurice Wullens se retrouva seul à Paris en novembre 1915 et reprit son métier d’instituteur à l’école de garçons du 30 rue Saint-Jacques (5e arr.)
A partir de mai 1916, il fit reparaître Les Humbles dans les conditions difficiles de l’époque soumise à la censure militaire et participait régulièrement aux réunions tenues à Paris par le groupe des Amis de Par delà la mêlée du nom de la revue individualiste dirigée par E. Armand à laquelle il collaborait ainsi qu’à Ce qu’il faut dire de Sébastien Faure. L’année suivante, la revue fut suspendue jusqu’en mars 1918 sur ordre du ministre Paul Painlevé. Mais Wullens tourna l’obstacle en publiant des numéros spéciaux consacrés à Émile Verhaeren, Gabriel Belot, A. M. Gossez, à Romain Rolland devant la guerre, à une Anthologie des Humbles. Cependant, le recueil Le Coeur de l’ennemi, anthologie des poètes et écrivains allemands pacifistes, interdit par les autorités militaires, ne put être publié qu’en avril 1919.
Inscrit à la CGT et militant à la Fédération de l’Enseignement, Maurice Wullens adhéra à la CGTU après la scission de 1921 et, à partir de 1929, il fit partie des deux centrales syndicales.
Polémiste ardent, Wullens réussit, pendant vingt ans, à faire vivre sa revue, dont la collection, aujourd’hui, demeure une source d’informations sur les événements et les hommes. Dès 1917, Wullens avait collaboré à Par delà la mêlée d’Émile Armand, puis aux Tablettes de Le Maguet (voir ce nom), ainsi qu’à Ce qu’il faut dire de Sébastien Faure, en 1916-1917 et en 1920. Il devait, un peu plus tard, donner des articles à La Mêlée de Pierre Chardon, Notre Voix de Gérold, Un et L’Ordre naturel de Marcel Sauvage. Les opinions nettement déclarées de Wullens, son intransigeance, son mépris de la compromission, lui valurent des sanctions. Déplacé dans le Nord, à Treton, dès la fin de la guerre, il y fonda en 1921 une section du Parti communiste dont il assura le secrétariat. Ce n’est qu’en 1929 qu’il put revenir enseigner dans la Seine, à Gentilly d’abord, enfin à Paris, grâce à la campagne menée par un comité composé d’amis et de personnalités : H. Barbusse, G. Duhamel, Han Ryner, V. Margueritte, R. Rolland, H. Poulaille, etc.
Maurice Wullens collabora au Libertaire où il tint en 1921 la rubrique « Littérature communiste ». Il fut élu collaborateur « remplaçant » du journal par le IVe congrès qui eut lieu à Paris les 12 et 13 août 1923. Il fut également rédacteur à la Revue anarchiste et collabora à L’En Dehors et à L’insurgé (Paris, 1925-1926) d’André Colomer. A ce dernier qui lui avait proposé une chronique régulière, il avait répondu : « Mais une chronique régulière ? c’est autre chose. Tant à faire, mon pauvre vieux. La croûte à gagner, d’abord, et ce n’est pas peu de chose, crois moi. Puis ma revue : rédaction, administration, n’oublie pas que je fais tout absolument seul. Trop à faire donc pour pouvoir te promettre une collaboration régulière. Et puis, à vrai dire, rien ne me pèse que de devoir allonger quelques pages à date fixe. Je ne serai jamais, mi forcé, mi de plein gré, qu’un chroniqueur intermittent. Comme je le fus au Libertaire.. »(cf. L’Insurgé, n°2, 14 mai 1925).
Dans les années vingt, Wullens fut, comme bien d’autres, attiré par l’Union soviétique. En août-septembre 1925, il participa à un voyage d’étude organisé pendant les vacances par une cinquantaine d’instituteurs — dont Célestin Freinet — sur l’initiative du syndicat pan-russe des travailleurs de l’Enseignement. Au cours de son voyage, il intervint en faveur de Nicolas Lazarévitch (voir ce nom). A son retour, il tenta d’adapter la pratique soviétique du journal mural mais, surtout, se rapprocha des communistes et s’opposa aux défenseurs de Lazarévitch parmi lesquels se rangeait son frère (voir Marcel Wullens).
En 1927, il publia son livre Paris-Moscou-Tiflis, recueil de notes et de souvenirs rapportés de son voyage, préfacé par Henri Guilbeaux. Wullens avouait avoir été impressionné : « Là-bas, un effort immense, colossal, prodigieux est fait pour l’éducation, l’instruction de cette masse de plus de cent millions de paysans incultes, mi-barbares », effort qui, à ses yeux, devait perdurer même en cas d’échec de la République soviétique. Mais cette sympathie manifestée par Wullens pour les réalisations de l’Union soviétique fut remise en cause par deux épreuves : la rupture avec son frère et son conflit, en septembre 1929, avec le Parti communiste à propos des dettes que L’Humanité avait envers H. Guilbeaux, qui menait alors une vie matériellement très difficile à Berlin. Il devait publier plusieurs cahiers consacrés à la défense de son ami. L’ère stalinienne allait enlever à Wullens toutes ses sympathies prosoviétiques et il participa à la campagne pour la libération de Victor Serge. Ayant adhéré au Parti d’unité prolétarienne, il en fut le candidat aux élections législatives de 1936 dans la 2e circonscription de Dunkerque. Sur 14 475 inscrits, il ne recueillit à l’unique tour que 224 voix. Sur le plan syndical, il fut l’un des deux élus de l’École émancipée au conseil syndical du SNI de la Seine en 1937. Il demeurait à cette époque rue de Tolbiac et était instituteur à l’école de la rue de l’Arbalète (5e arr.).
Jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Les Humbles, à côté de leurs numéros ordinaires, publièrent une trentaine de numéros spéciaux, et les Éditions des Humbles une soixantaine de cahiers rassemblant les textes de nombreux écrivains et essayistes : Guilbeaux, l’égyptien Georges Henein, Pierre Ganivet (voir Achille Dauphin-Meunier), Maurice Parijanine, Ernst Toller, André Prudhommeaux (« Catalogne 1936-1937 », mars 1937 ; « Où va l’Espagne », février 1938). Il rendit hommage à André Gide (« Respects à Monsieur Gide », juin 1936), à Léon Trotsky (mai-juin 1934), à Marcel Martinet (janvier-mars 1936), publia un compte-rendu du Congrès des écrivains pour la défense de la culture (juillet 1935) donnant la parole à André Breton, Magdeleine Paz, Henri Poulaille. En avril 1938, il publia la brochure d’Alfred Rosmer, V. Serge et lui-même sur l’assassinat d’Ignace Reiss.
Si Wullens ne cessait de dénoncer les crimes staliniens, la « dégénérescence » de la Révolution russe et la politique du PC, il n’en demeurait pas moins l’adversaire du capitalisme à l’origine du déclenchement de la guerre de 1914 et de l’élaboration des traités de paix. La position de Wullens, dans les années trente et quarante, fut celle de nombreux pacifistes, pour qui le mal absolu demeurait la guerre. Pour eux, l’objectif primordial était de l’éviter, une paix précaire, même avec l’Allemagne hitlérienne, étant préférable à une victoire par les armes, « victoire » qui, de plus, en aucun cas ne pourrait en être une pour le mouvement ouvrier. Cependant il ne tint pas à un pacifisme intransigeant. Fin 1938, Victor Serge, considérant que Wullens publiait des textes complaisants vis-à-vis de l’Allemagne nazie, rompit avec lui.
Le dernier numéro des Humbles parut censuré en mars 1940. Relevé de ses fonctions le 8 février 1941, il devait être réintégré le 26 mai 1942 mais en fait, trop malade, ne put exercer à nouveau. Pendant l’occupation allemande, à l’opposé de bien de ses camarades qui se réfugièrent dans le silence, Wullens ne cacha pas ses opinions : partisan d’un rapprochement avec le IIIe Reich, il donna des articles aux journaux collaborationnistes, Je suis partout ou Révolution nationale de Drieu La Rochelle (article sur la mort de Marcel Martinet). Dans Jeune Force de France, Wullens accusa Giono d’avoir incité à l’objection de conscience tandis que lui-même, après avoir signé le tract « Paix immédiate », s’était rendu à sa convocation lors de la mobilisation de 1939.
La presse clandestine de la Résistance dénonça l’attitude de Wullens et à la Libération son engagement lui fut reproché, mais il ne fut pas inquiété en raison de son état de santé.
Grabataire, Maurice Wullens succomba à une crise cardiaque, en février 1945, à l’hôpital de Socx (Nord).
OEUVRE : Profils de Flandre… et d’ailleurs, Éd. des Humbles, 1916. — La littérature et la guerre, 1917. — Pages de mon Carnet, souvenirs de voyage, de campagne et de captivité, 1920 (réédition 1939, préf. de Marcel Martinet). — Littérature et pognon, 1922. — En marge d’un feuilletoniste, réponse aux calomnies d’Henri Béraud, 1925. — Eroines, balades à travers la vieille carte du Tendre, Lille, Éd. du Mercure, 1925. — Paris-Moscou-Tiflis, notes et souvenirs d’un voyage à travers la Russie soviétique, Éd. des Humbles, 1926. — Vacances en Flandre, (notes et aquarelles de Parijanine), 1935. — Huit jours à Barcelone, 1937. — Le CERMTRI a publié une table des principaux articles des Humbles.