Fils d’un charpentier de navires, Henri Quesnel était l’aîné de sept enfants. Très tôt il milita au syndicat CGT des Métaux et à l’Union locale du Havre qui lui confia en 1912 la présidence du conseil d’administration des coopératives d’alimentation de l’agglomération havraise. Dans les années 1950, il devait rappeler qu’il avait fait ses premières armes durant une grève de 1900.
Mobilisé le 2 août 1914 dans l’artillerie, il fut fait prisonnier à Maubeuge (Nord) le 7 septembre 1914 et vécu en captivité à Winden (Allemagne) jusqu’au 22 décembre 1918.
De retour au Havre début 1919, il retrouva son emploi de tourneur et rejoignit le syndicat CGT des Métaux du Havre dirigé alors par Louis Legrain. Ce dernier, réélu secrétaire permanent en janvier 1920, était un minoritaire déclaré, fortement marqué par un anarchisme agressif dont Alphonse Merrheim fit plusieurs fois les frais. Il conduisit, en ce début d’année, des négociations avec les représentants du patronat, mais son attitude intransigeante empêcha la signature d’un compromis souhaité pourtant par ses mandants. Mis en minorité lors d’une assemblée générale réunie en avril 1920, il démissionna aussitôt et quitta le Havre pour Saint-Étienne (Loire).
Quelques jours plus tard, Henri Quesnel fut élu secrétaire général d’un nouveau bureau qui comprenait, en outre, Alfred Bélanger (secrétaire adjoint), Marcel Coursolles (trésorier) et Joseph Dupré (trésorier adjoint).
Permanent, appointé à hauteur de 700 frs. par mois, la silhouette athlétique de Quesnel, grand pour l’époque (1m71), en imposait. Excellent orateur, Désiré Brest, qui le connut de près, dira plus tard qu’il appréciait ses talents de conteur. L’anarchiste pur et dur des années 1910 avait évolué, à 37 ans il était attaché à l’indépendance syndicale et souhaitait préserver son unité.
En juin 1920, le renouvellement de la direction de l’Union locale fut l’occasion de désigner les représentants des syndicats les plus puissants de l’agglomération : Jules Leroux (Bâtiment), réélu secrétaire, Henri Quesnel pour les Métaux, secrétaire adjoint, François Montagne pour les Marins, trésorier et Henri Lambert pour les Cheminots, trésorier adjoint. Les quatre hommes représentaient plus de 6 000 adhérents, soit le tiers des effectifs de l’UL. Le premier novembre, Jules Leroux mourut brutalement et Quesnel fut aussitôt désigné par la commission administrative de tendance majoritaire, pour lui succéder. Le choix n’était pas anodin, certes il représentait un syndicat ultra minoritaire, mais, à l’occasion du congrès confédéral d’Orléans en octobre 1920, il avait donné son mandat à un des membres éminents de la direction confédérale majoritaire, Alphonse Merrheim. Ce dernier, invité par Quesnel pour rendre compte du congrès le 14 décembre, fut victime d’une véritable agression conduite par un groupe de métallos anarchistes conduit par Paul Burgat.
Malgré les critiques montantes, émanant surtout du Comité syndicaliste révolutionnaire du Havre (créé en décembre 1920), il restait l’homme de la situation, respecté par les deux tendances, peut être espérait-on qu’il serait l’agent d’une synthèse qui sauverait l’unité. En janvier 1921, réélu secrétaire du syndicat des Métaux, il conserva la direction du bureau de l’Union locale, assisté de militants majoritaires, Louis François (secrétaire adjoint), Victor Lambert (trésorier) et Frédéric Bellamy (trésorier adjoint). En juin 1921, les minoritaires prirent le contrôle de l’Union locale et exigèrent l’élection d’un nouveau bureau ; Henri Quesnel restait secrétaire, assisté d’Auguste Sénécal un docker venu du CSR (secrétaire adjoint), de Louise Mallot (trésorière) et d’Henri Lambert (trésorier adjoint). Le 3 juillet 1921, au 7e congrès de l’Union départementale tenu à Dieppe (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), la motion du bureau sortant fut repoussée et les congressistes élire un bureau minoritaire dirigé par Maurice Gautier et une commission administrative de 12 membres, parmi eux, Henri Quesnel.
Délégué au congrès confédéral de Lille quelques jours plus tard, Quesnel porta les mandats du Bâtiment et des Métaux du Havre (minoritaires) ainsi que d’un petit syndicat de marchands des quatre saisons (majoritaire).
À l’assemblée des syndicats minoritaires tenue du 22 au 24 décembre 1921 à Paris, les syndicats havrais déléguèrent Auguste Hervieu, mais avec un simple mandat d’observateur. Puis l’Union locale, sous l’influence d’Hervieu et de Quesnel, refusa pendant deux mois d’entériner la scission confédérale ; il tenta même de dissuader François Montagne de reconstituer une UL confédérée, avant de se résoudre à rejoindre la CGTU en mars 1922. Témoin privilégié le commissaire central du Havre écrivait de Quesnel sur un rapport du 1er juillet 1922 : « Il se cantonne depuis longtemps dans une prudente expectative et ne s’est point hâté de rallier la CGTU. Mais après la décision du Comité directeur de l’UL d’adhérer à la CGTU, il s’est déclaré franchement unitaire et s’est livré à une active propagande dans tous les groupements adhérant à l’Union ».
Le 14 juin 1922 fut élu le bureau de la nouvelle Union locale unitaire : Henri Quesnel (secrétaire), Jean Le Gall (secrétaire adjoint), Henri Lambert (trésorier) et Maurice Riquet (trésorier adjoint).
Au sein de la CGTU, il se situa dans la tendance Besnard, surtout par hostilité aux ingérences politiciennes. Malgré tout, au Ier congrès confédéral, à Saint-Étienne, du 26 juin au 2 juillet 1922, le syndicat des Métaux du Havre vota les motions Monmousseau. Quesnel n’était pas là, la grande grève de la métallurgie havraise battait son plein.
Débutée le 20 juin après l’annonce simultanée, par plusieurs grandes usines, d’une baisse des salaires de 10 %, la grève s’était répandue comme une traînée de poudre dans la métallurgie. Jugeant le mouvement précipité, Henri Quesnel avait tout d’abord temporisé. Cependant, les événements l’avaient obligé à convoquer, le 24 juin, une assemblée générale salle Franklin, qui avait voté la grève totale. Le lendemain, alors que 13 000 ouvriers chômaient, un comité de grève avait été élu, comportant des délégués de chaque usine. Quesnel y siégeait au titre du syndicat des Métaux.
Le patronat refusant toute négociation, la grève se durcit et s’installa dans la durée. À partir du 25 juillet, les manifestations s’émaillèrent de menues violences, tandis que les pouvoirs publics concentraient des troupes dans la ville. Elle prit également une dimension nationale, entraînant, au sein de la CGTU, une surenchère dans le soutien au mouvement. La victoire des grévistes devint un enjeu décisif pour la crédibilité de la tendance anarcho-syndicaliste de la CGTU, qui envoya plusieurs responsables sur place.
Le mouvement commençait à s’enliser, aussi l’Union locale décida d’étendre le mouvement à toutes les corporations à partir du 22 août, et fut suivie même par certains syndicats CGT. Il y eut bientôt entre 30 000 et 40 000 grévistes et la ville fut paralysée. Le 26 août, policiers et soldats chargèrent un rassemblement de grévistes, faisant 4 morts. Suite à quoi des barricades furent dressées et la population ouvrière affronta les forces de l’ordre une partie de la nuit. Les jours suivants, la police arrêta ceux qu’elle estimait être les principaux meneurs : Henri Quesnel et Jean Le Gall (UL), Joseph Perrault et Raoul Le Nôtre (Dockers) ; Victor Le Guillermic et Augustin Duval (Métaux) ; Victor Viel (Gaz) ; Célestin Ferré (fédération des Métaux) ; Julien Le Pen (fédération du Bâtiment) ; Joseph Lartigue et Auguste Peltier (fédération des PTT) ; Amédée Bousquet (confédération) ; Louis Limare (comité de grève) ; Guy Tourette (journaliste à L’Humanité) ; Cocquerel (marin sur le Savoie) ; Félix Bouvier, Fernand Mérueret (PCF) ; Henri Gautier (JC) ; Henri Offroy* (Groupe libertaire du Havre) ; Adrien Bunel (Grutiers).
En solidarité, la fédération CGTU du Bâtiment (anarcho-syndicaliste) appela à la grève nationale dès le 28 août, et fit pression sur la CGTU pour qu’elle appelle à une grève générale le 29. Cette dernière fut un échec.
Le mouvement havrais amorça alors son déclin : le 1er septembre, la grève locale de solidarité cessa, mais les métallurgistes tinrent encore cinq semaines. Le 8 octobre, une assemblée générale à laquelle participa Quesnel, libéré quatre jours auparavant, vota la reprise du travail après 111 jours d’une grève historique.
Il fut réélu secrétaire de l’UL et du syndicat des Métaux en janvier 1923, mais l’échec du mouvement, la désaffection des militants et les critiques de plus en plus virulentes de la minorité communiste qui commençait à engager une guerre de tranchée contre les anarcho-syndicalistes le conduisirent à abandonner la direction de l’Union locale le 3 juin 1923 où il fut remplacé par Le Gall et celle du syndicat des Métaux en octobre.
Embauché sur le port du Havre comme docker, ses qualités le distinguèrent rapidement, il fut nommé contremaître puis chef de bordée à la Compagnie générale transatlantique qui l’employa jusqu’en juin 1940.
A l’arrivée des Allemands, il quitta Le Havre pour s’installer à Bernières (Seine-Inférieure, Seine-Maritime) où il travailla comme ouvrier jardinier.
Il revint sur le devant de la scène en 1944. En effet, les dirigeants de l’Union locale, Maurice Hauguel et André Vaillant, avaient eu, sous l’Occupation, une attitude complaisante vis-à-vis de la Charte du travail. Ils furent démis de leur fonction le 6 décembre 1944 et remplacés par une nouvelle direction, majoritairement communiste. Celle-ci, par souci du consensus, nomma Henri Quesnel (61 ans) secrétaire. Par la suite, Quesnel resta fidèle à la CGT, à l’image de l’anarcho-syndicalisme havrais qui ne rejoignit ni la CNT en 1946, ni la CGT-FO en 1948.
Minoritaire au congrès de l’union départementale réuni en octobre 1947, il défendit le maintien de la proportionnelle et contesta les modalités de sélection des candidats au conseil d’administration de l’UD auquel lui-même fut cependant élu.
Critique sévère des anciens « unitaires », il profita de la réunion du comité général de l’UD, le 13 décembre 1947, pour dénoncer les conditions dans lesquelles les mouvements de novembre-décembre 1947 avaient été « déclenchés par-dessus les prévisions de la CGT ». Convaincu que la majorité des travailleurs était défavorable à la grève, il déplora l’absence de consultations à bulletins secrets qu’il aurait préféré voir organisées à la Bourse du travail plutôt que dans les usines.
Plus fondamentalement, il réitéra son regret de l’intrusion des tendances politiques dans les syndicats et nota que « Le mauvais exemple » venait « d’en haut ».
En d’autres lieux, une telle déclaration aurait préludé à la rupture. Il n’en fut rien pour Quesnel qui, traumatisé à jamais par l’expérience douloureuse des années 1920, termina son intervention sur une vigoureuse invitation à « se grouper pour ne jamais refaire une scission ». La quasi-totalité de ses camarades portuaires partageaient ce point de vue.
Le 4 février 1948, en pleine scission confédérale de FO et de la CGT, l’Union locale, dont Quesnel assurait toujours le secrétariat, se félicita « du peu de succès des protagonistes de la division du mouvement ouvrier ». A l’unanimité, ses 31 syndicats s’engagèrent à « maintenir la puissance de notre vieille CGT ». L’option n’impliquait pas un ralliement sans murmure à la majorité. Henri Quesnel le signifia devant les instances de l’UD, le 20 novembre 1948. A cette occasion, il prôna l’autonomie des UL et croisa le fer avec Legagneux.
Reconduit à la commission administrative de l’UD, il cumula bientôt les fonctions d’administrateur de la Caisse vieillesse de Normandie et de vice-président honoraire de la Caisse d’entraide du Havre. Il continua, d’autre part, à militer sur le port et siégea au bureau central de la main-d’œuvre, institution paritaire chargée, entre autre, de contrôler l’embauche. Nommé en 1949, il y resta jusqu’en 1957.
Délégué au congrès de la fédération des Ports et Docks de 1950, il réaffirma son attachement au « syndicalisme pur ». Ces principes rappelés, il expliqua qu’il avait reçu le mandat de voter le rapport moral. « Oublions le passé », lança-t-il à l’adresse de la majorité. Qu’il s’agisse du refus du travail au rendement, de l’usage des fonds recueillis pour la solidarité ou des règles statutaires régissant le fonctionnement de la direction fédérale, l’intervention, dépourvue d’agressivité, explicita la spécificité havraise et les conditions d’une cohabitation fructueuse. Brest le comprit et trouva les mots justes pour le dire. A la suite de quoi, Quesnel se déclara satisfait des réponses apportées.
Alors que la fédération sortait à peine d’une période d’« actions concrètes » contre la guerre, aussi audacieuses que coûteuses, l’ancien anarcho-syndicaliste renoua avec l’antimilitarisme de sa jeunesse. Sur la lancée, il préconisa le retour aux anciennes positions de la CGT en matière de procréation consciente, et s’emporta contre les encouragements des « gouvernements fascistes » à l’augmentation du nombre des enfants, future « chair à canons » ou « chair à plaisir ».
A défaut d’une parfaite adéquation de ses vues avec celles de la majorité fédérale, le vieux militant demeurait disponible, y compris hors du syndicat, pour des initiatives conjointes avec les communistes. Ainsi, après les élections de 1947 aux caisses primaires de Sécurité sociale, Henri Quesnel fut administrateur de la caisse d’assurance-vieillesse de Normandie puis, après 1951, président de la section havraise de l’Union des vieux de France. Il fut également vice-président honoraire de L’Entraide au Havre et secrétaire de l’Union des locataires.
Dans les années 1920, il habitait 12-13 rue de l’Amiral Mouchez au Havre où il mourut le 26 juillet 1966.