André Roulot était d’origine modeste. Son père, ouvrier lithographe à l’imprimerie Haviland, mourut de saturnisme. Sa mère était ouvrière modiste. De constitution assez chétive, André Roulot fréquenta les écoles de son arrondissement, avenue Bosquet puis avenue de la Motte-Picquet. Très travailleur, il montra de bonnes aptitudes pour l’étude, mais c’est de lecture qu’il était avant tout passionné. Il obtint son certificat d’études primaires.
À sa sortie de l’école, à quatorze ans, il débuta chez un soldeur de la rue de Turbigo, passa chez un horloger rue des Archives, puis, en 1900, devint commis aux écritures à l’imprimerie Jousset.
Par réaction sans doute au conformisme d’une enfance trop choyée par une mère toujours inquiète de la santé de son fils, André Roulot, devenu jeune homme, adopta une attitude frondeuse. Le 1er juin 1905, il fut emprisonné pendant huit jours pour avoir sifflé au passage du roi d’Espagne ; il fut alors renvoyé de l’imprimerie où il travaillait et devint comptable à la maison Hachette. Cette même année, ayant fait la connaissance de Libertad, il fondait avec lui L’anarchie dont le premier numéro est daté 13 avril 1905.
Cette même année 1905, il polémiquait avec plusieurs membres de l’Association internationale antimilitariste — dont Sadrin et G. Darien — qui considéraient que la désertion et l’insoumission de jeunes compagnons passant à l’étranger les faisaient devenir « des unités perdues pour la lutte antimilitariste ». Dans un article intitulé “Antimilitarisme et désertion” il concluait : « Je ne blâme pas les camarades allant à la caserne, mais je m’élève contre la prétention d’endiguer les velléités conscientes d’ailleurs assez rares. Je ne conseille pas la désertion, mais je pense et je dis que c’est la seule attitude antimilitariste et qu’il y a lieu d’essayer de la rendre plus praticable par une action et une éducation de camaraderie tant à l’étranger que dans le pays natal. Voila du travail à faire et c’est de la besogne immédiate. C’est une œuvre de tous les instants, une œuvre individualiste ne nécessitant nullement l’organisation toute puissante de nos farouches amis internationalistes — marque déposée brevetée AIA. Ce n’est pas dans les congrès que l’on éclaire les brutes et que l’on chasse l’ignorance : c’est en relevant ses manches et en se mettant résolument au travail”). (cf. L’anarchie, 3 août 1905).
Ajourné en 1906, Lorulot fut exempté de service en février 1907 pour « affection cardiaque et surdité ».
La vie d’André Roulot, devenu Lorulot, allait désormais être consacrée, jusqu’en 1914, à la propagande anarchiste individualiste.
En 1906, dans les colonnes du Libertaire (16 janvier 1906), il dénonçait “le fanatisme antisémite” en Russie et signait une série d’articles sur la question juive et le sionisme (28 janvier 1906).
En juillet 1906, il quitta la maison Hachette. Avec Ernest Girault et quelques autres, il avait fondé, quelques mois auparavant, une colonie anarchiste communiste à Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise). Une de ses premières compagnes, Émilie Lamotte, participa également à la vie de la colonie tout en assistant Lorulot dans ses conférences à travers le pays. L’expérience dura deux années environ jusqu’à l’automne de 1908 : des dissensions entre les participants y mirent fin.
En quittant la maison Hachette, Lorulot avait définitivement rompu avec un certain mode de vie. Désormais et jusqu’à sa mort, il allait être propagandiste et c’est avec Girault, au cours de tournées de conférences, qu’il se familiarisa avec le « métier ». En avril 1907, Lorulot se rendit dans le Nord. Mais, le 2 mai, il était arrêté à Denain avec Pierre Coupez et inculpé de « provocation au meurtre » ; selon l’accusation il aurait, lors de réunions — notamment le 27 avril au Bar central de Denain-, demandé aux soldats « de ne pas mettre la crosse en l’air, mais de tuer les bêtes venimeuses qui les entourent » ; il fut condamné, le 9 août, par la cour d’assises de Douai, à un an de prison et 100 f d’amende et incarcéré à Valenciennes. En raison de la publication d’une brochure L’Idole patrie et ses conséquences, dont il avait remis le manuscrit avant son arrestation à Broutchoux et que celui-ci publia aussitôt, il fut à nouveau condamné le 16 novembre à quinze mois de prison et 16 f d’amende pour « provocation de militaires à la désobéissance ». Il y eut confusion des peines et Lorulot fut libéré conditionnellement de Clairvaux où il était tombé malade, le 7 février suivant.
Au même procès Broutchoux et Cachet avaien été condamnés respectivement à 3 mois de prison et 16 francs d’amende.
A sa libération il retourna vivre dans la fe colonie de Saint-Germain avec sa compagne Émilie Lamotte et Tesnier et sa compagne. Puis à l’automne 1908 il partait en roulotte faire des conférences dans le Midi avec Émilie Lamotte qui devait décéder lors de cette tournée en juin 1909 dans le Gard. Lorulot fit le récit de cette tournée en roulotte dans La Vie nomade (Ed. de l’Idée libre).
Libertad étant mort le 12 novembre 1908, Lorulot devintn en décembre 1909, le responsable de la rédaction de L’anarchie (19 septembre 1909-13 juillet 1911) dont le gérant était alors Maurice Imbard, tout en poursuivant ses conférences en France, voire en Algérie et en Suisse.
En septembre 1910 il fut poursuivi avec notamment Lorenzi, Laheurte, Dutilleul, Hermenegilde et Bunin suite à la bagarre et échange de coups de feu survenu le 8 mai 1910 au local des Causeries populaires lorsque Maurice Duflou (voir ce nom) du groupe de Paraf Javal état venu récupérer le matériel d’impression du groupe et où avait été mortellement blessé Sagnol. Lors du procès, les 10-12 octobre, où il bénéficia des témolignages de Jacques Long, Anna Mahé, Eugène Martin, Léon Israel, Fromentin et René Dolié entre autres, il fut acquitté tandis qu’étaient condamnés à 5 ans de réclusion Laheurte et Lorenzi reconnus coupables des coups de feu ayant entrainé la mort de Sagnol. Suite à cette attaque l’imprimerie du journal s’était installée au début de lété 1910 à Romainville, 16 rue de Bagnolet dans un pavillon à un étage, loué 800 francs pour la prmière année et 1000 francs les années suivantes. Ce nouveau local fut inauguré lors d’une fête tenue le 24 juillet à laquelle assitèrent environ 200 personnes selon la police.
Anarchiste individualiste, Lorulot professait les opinions en cours dans ce milieu : mépris pour les syndicats, simples « boîtes à cotisations », hostilité aux écoles laïques, pépinières de soldats fusilleurs d’ouvriers, les instituteurs étant considérés comme les « flics intellectuels de la classe capitaliste » (L’anarchie, 2 décembre 1909), négation de la division de la société en classes, affirmation de l’individu et de la légitimité de son développement « intégral ».
Au début des années 1910 il était membre du groupe L’Effort dont le secrétaire était Léon Bouchet.
Au printemps 1911 il avait fondé le groupe L’Idée libre qui se réunissait à Eaubonne, 23 rue de Paris et dont étaient notamment membres Jeanne Belardie, Han Ryner, Manuel Devaldés, Mauricius, Abel Faure et A. Laisant.
En juillet 1911, Lorulot abandonnait la direction de L’anarchie, tout en poursuivant sa collaboration, et fondait peu après L’Idée libre (n° 1, 1er décembre). Quelques jours plus tard, le 20 décembre, éclatait l’affaire des « bandits tragiques », l’affaire Bonnot, liée au milieu de L’anarchie à Romainville.
Lorulot, qui avait rompu, sinon avec le journal, du moins avec ceux qui y fréquentaient, ne fut pas condamné lors de l’épilogue de l’affaire devant la cour d’assises de la Seine en février 1913. Il n’en avait pas moins exalté, en 1906, les actes illégaux « intéressants lorsqu’ils peuvent être faits sérieusement avec des risques minimes et des profits satisfaisants » (L’anarchie, 25 janvier 1906, souligné par lui). En avril 1912, lors d’une conférence de Sébastien Faure “à propose des bandits”, il avait glorifié Bonnot, Garnier et Carouy, ajoutant « Je sais pertinemment que l’argent volé par nos camarades, ne leur a pas servi à vivre une vie de noce ou de plaisirs, mais à aitre chose que je ne veux pas faire connaitre en ce lieu ». A la même époque il avait édité à L’Idée libre le manifeste Mort aux voleurs faisant l’apologie de Bonnot et ses compagnons. Aussi, et bien qu’il ait estimé que sa responsabilité n’était pas engagée, put-il se demander si lui et ses amis n’avaient pas « quelque responsabilité indirecte, involontaire, dans ces hécatombes » (L’anarchie, 24 avril 1913). Quoi qu’il en soit, une âpre controverse l’opposa alors à Victor Serge qui proféra contre lui de lourdes accusations. Les pièces du dossier ont été données dans Le Mouvement social, n° 47, op. cit., on s’y reportera si besoin.
Fin janvier 1915, Lorulot fut arrêté à Menton et impliqué avec Léon Prouvost, les époux Donnadieu et Émile Hureau (le véritable auteur du tract intitulé « J’accuse ») pour « fabrication de fausse monnaie, injures et diffamations envers l’Armée et propagation de fausses nouvelles. » Il fut alors emprisonné au fort Saint-Nicolas à Marseille, puis à Lyon, enfin au Cherche-Midi et à la Santé. Il obtint un non-lieu le 27 juillet 1915 assorti d’une interdiction de séjour à Paris de quatre ans. Ces jours passés en prison lui inspira son livre Méditations et souvenirs d’un prisonnier.
Réfugié à Lyon puis à Saint-Étienne, il gagna sa vie comme vendeur sur les marchés. Il reprit, en juillet 1917, la publication de L’Idée libre (2e série) dont les premiers numéros (qu’il composa entièrement) furent tirés sur une petite presse à épreuve, dans la cuisine de Madeleine Bouchet, veuve de son ami Léon Bouchet, mort en 1916. « Il fallait quinze jours pour tirer un numéro. Un travail infernal et interminable » (L’Idée libre, n° de juin 1923).
Lorulot occupa une place à part parmi les anarchistes individualistes : partisan de la Révolution russe, il en vint à défendre l’idée de la nécessité d’« une certaine dictature », conception qu’il ne renia pas même après l’insurrection de Cronstadt.
En 1920, il fut l’un des principaux animateurs du Réveil de l’Esclavage dont le véritable inspirateur était Manuel Devaldes, libertaire, objecteur de conscience, réfugié pendant la guerre en Angleterre.
Mais ce fut surtout son collaborateur et ami Léon Prouvost qui l’orienta vers la propagande antireligieuse dont il se fit, au fil des années, le spécialiste. Désigné comme un de ses héritiers, il reprit en juillet 1921 la publication du journal L’Antireligieux qui devint en 1925 L’Action antireligieuse et en 1928 la Libre pensée. Malheureusement les autres héritiers de Prouvost firent annuler son testament par un tribunal de Draguignan de sorte que Lorulot n’obtint rien du legs de son ami, ni argent, ni bibliothèque et manuscrits qu’il avait laissés et qui furent probablement perdus à tout jamais.
En août 1921, Lorulot fut nommé au Comité directeur et délégué à la propagande de la Fédération nationale de la Libre pensée dont il devint rapidement un des orateurs les plus prisés. Avec une ardeur infatigable, il ne cessa dès lors de parcourir tous les départements français sans parler de l’Afrique du Nord, de la Belgique, de la Suisse (dont il fut expulsé en 1930 et interdit de séjour l’année suivante). Il organisa des conférences contradictoires (parfois houleuses), affrontant les grands orateurs du mouvement catholique comme l’abbé Viollet, le chanoine Degranges, le professeur Melandre etc. et suscita souvent des attaques violentes de ses adversaires. Ce furent elles qui l’amenèrent à fonder, en novembre 1930, le mensuel satirique La Calotte, illustré par Armangeol (de son vrai nom Armand Mougeol, nancéen, grand mutilé de la Première Guerre mondiale, rallié à la cause pacifiste et anticléricale).
Parallèlement il se détacha peu à peu des « chapelles » anarchistes qui lui reprochaient sa trop grande admiration pour la révolution bolchévique. En 1922, la publication de son roman “Chez les loups” ne fit qu’accentuer son détachement. Sa revue, L’Idée libre refléta particulièrement cette évolution, son caractère éducationniste disparut peu à peu pour s’orienter vers la propagande rationaliste. Cependant Lorulot oscilla toujours entre l’anarchisme et le socialisme. C’est ainsi qu’il collabora dans les années trente à l’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure et qu’il fit encore, en 1955, des conférences sous l’égide du Monde libertaire.
Sous l’Occupation, Lorulot ne fut pas inquiété bien qu’il ait, en 1939, transformé momentanément La Calotte en un organe de combat : La Vague avec pour sous titre « Contre le nazisme, contre l’antisémitisme et contre toutes les tyrannies”. Il publia même, en 1941, avec le visa de la censure une brochure intitulée “Les Jésuites”. Selon Jean Bossu, Lorulot aurait édité des ouvrages antidatés pour échapper à la censure. Il fit également paraître une revue trimestrielle Faits, textes et portraits (n° 78, février 1941) en remplacement de sa revue La Documentation antireligieuse qui avait été suspendue en 1939. Il publia enfin de nombreuses brochures dans la série des Publications (mensuelles) de l’Idée libre.
En 1945, il reprit au grand jour ses activités antireligieuses, devint secrétaire général, puis au congrès de Lyon en août 1958, président de la Fédération nationale des Libres penseurs de France et de la communauté. Il fut également vice-président de l’Union mondiale des Libres penseurs.
Lorulot mourut brusquement le 11 mars 1963 à Villa des fleurs, Herblay (Seine-et-Oise). Ses obsèques eurent lieu au columbarium du Père Lachaise en présence d’une foule considérable de militants. Des discours furent prononcés par Marguerite Perleau en tant qu’amie et au nom du groupe « Chevalier de la Barre », par Lemoine pour l’obédience maçonnique mixte du Droit humain, par le Dr Dumont représentant le Grand Orient de France (bien que Lorulot n’ait jamais appartenu à la Franc-maçonnerie), par Maurice Joyeux pour la Fédération anarchiste, par Jean Cotereau pour la Libre pensée…
Depuis 1912, il vivait avec Jeanne Bélardie, née Giorgis Valentine, Jeanne, ancienne épouse de l’illégaliste Brutus Bélardie et ancienne compagne de Carouy dont elle avait eu une fille Pierrette qu’elle éleva avec Lorulot. Tous deux se marièrent en juin 1953.
Lorulot avait publié aux éditions de l’Idée libre des milliers d’articles, rédigé quantité de brochures diverses et édité à profusion des œuvres de libres penseurs. Il avait sans cesse lancé des collections nouvelles.
ŒUVRE : (cotes de la Bibl. Nat.) :
— Collaborations (avant 1914 ; choix) : Le Balai social, publié à Mantes du 15 décembre 1904 au 15 janvier 1906 (Jo. 11 888) ; Le Libertaire (Fol. Lc 2/5 757) ; L’anarchie (Fol. Lc 2/6 246) que Lorulot dirigea de septembre 1909 à juillet 1911 ; L’Idée libre (Jo. 70 793) que Lorulot fonda le 1er décembre 1911.
— Livres et brochures publiés antérieurement à 1914, liste non exhaustive (voir J. Maitron, Histoire du Mouvement anarchiste… op. Maspéro, 1975) : Électeur écoute : propagande abstentionniste (Alfortville, 1903 ?) — L’Idole patrie et ses conséquences : le mensonge patriotique, l’oppression militariste, l’action antimilitariste, préface de Broutchoux, 1907, 32 p. (8° Lb 57/14 344). — Éditions de la colonie de Saint-Germain : Le Mensonge électoral, 1908, 11 p., Le Problème des sexes, 1908, 12 p. ; Une expérience communiste. La colonie libertaire de Saint-Germain, 1908, 22 p. — Controverse avec G. Yvetot : pour ou contre le syndicalisme : Le Syndicalisme et la transformation sociale, 1909, 32 p. — Procréation consciente, 1910, 8 p. — La vie nomade (Ed. de l’Idée libre, s.d.)En collaboration avec A. Naquet, Le Socialisme marxiste, l’individualisme anarchiste et la révolution, 1911, 96 p. (8° Lb 57/14 713). — Causeries sur la civilisation, 1912, 46 p. (8° R Pièce 16 433). — Les Théories anarchistes, 1913, 336 p. L’Almanach de la Libre pensée puis l’Almanach de la Calotte, l’Encyclopédie de la Libre pensée etc. Parmi ses nombreux ouvrages, on peut signaler : La Bible comique illustrée, La vie comique de Jésus, Les sermons de l’Abbé Rasibus (recueil de chroniques publiées dans la Calotte), Histoire des Papes, Les Jésuites, Un mois chez les curés… ainsi que des ouvrages de réflexion philosophique ou sociologique comme Histoire de ma vie et de mes idées, Crime et société (Stock, 1923), Pourquoi je suis athée (1933), Morale et éducation sexuelle, Barbarie allemande et barbarie universelle (192 ?), Sa majesté l’Amour (1944), Histoire populaire du socialisme mondial, 1945, 688 p. Auteur de plusieurs pièces de théâtre parmi lesquelles : Mon royaume n’est pas de ce monde (1934), Dans les geôles de France (1938), La toile d’araignée (1938), La morale de Croquemitaine, La marche héroïque…